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Saccage irréversible

Photo: Paul Chiasson / La Presse Canadienne

Vous vous demandez comment vous en êtes venus à recevoir avec une certaine résignation les annonces de coupures de postes à Radio-Canada? En ce matin d’Halloween, vous vous demandez comment se fait-il que l’annonce de la fermeture du costumier de Radio-Canada vous laisse un goût plus amer encore que toutes les annonces récentes de pertes d’emplois qui touchent pourtant des centaines d’humains? J’ai un début d’explication, qui n’a rien à voir avec le fait que cette annonce tombe le jour où vous avez partagé par milliers les photos de vos bouts-de-choux déguisés, ce qui pourrait laisser croire à un attachement démesuré au concept de costume.

L’humain est ainsi fait qu’après un certain nombre de mauvaises nouvelles similaires, il se résigne. Il finit par accueillir sans broncher des situations qui lui paraissent inévitables et sur lesquelles il semble avoir peu de contrôle. Il entend les annonces de coupures à Radio-Canada et, bien qu’il compatisse avec les humains qui subissent ce sort, bien qu’il ne comprenne pas comment cette décision puisse se justifier d’un point de vu financier, bien qu’il soit frustré que rien ne soit fait pour sauver une institution qui l’informe, le divertit, le tient en contact avec ses semblables depuis bientôt 80 ans, il se sent impuissant. Il se dit probablement que c’est un mauvais moment à passer. Que tôt ou tard, les conservateurs seront tassés du pouvoir et qu’un nouveau gouvernement viendra sauver le diffuseur public. Que de nouveaux emplois seront créés et que tout rentrera dans l’ordre. [À ce chapitre, Justin Trudeau promettait à Tout le monde en parle d’augmenter le financement de Radio-Canada s’il était élu. Pourquoi? Parce qu’il s’agit du meilleur moyen de faire la promotion du Canada d’un océan à l’autre, ce qui augure mal pour toutes les autres missions du diffuseur, comme celle d’informer sans parti pris, par exemple.]

Mais il y a aujourd’hui quelque chose d’irréversible dans cette annonce de fermeture du costumier. Le patrimoine ainsi saccagé risque d’être perdu à jamais. Comme dans jamais récupérable. Comme les fois où on a détruit des bibliothèques, des salles de spectacles, des gymnases, des bâtiments religieux et d’autres lieux patrimoniaux et qu’on l’a regretté par la suite. Comme la fois où, voulant tourner la page sur mon passé, j’ai jeté toutes mes photos de mon adolescence, geste que je regrette à tous les jours depuis.

Cette décision est d’autant plus frustrante que le fait qu’elle touche une corde émotionnelle sensible n’enlève rien au fait qu’elle semble difficilement se justifier d’un point de vu rationnel. À ce que j’en comprends, le costumier est utile. Il sauve de l’argent aux productions internes et en rapporte par le biais de la location aux productions externes. Alors on va sauver quoi? Le salaire de deux personnes et de l’espace de rangement? Sérieux, à ce compte-là, on se cotise à la gang et on n’en parle plus.

C’est un peu ça le principe des impôts, d’ailleurs. Le gouvernement provincial joue peut-être avec les chiffres pour nous montrer que le Québec est en difficultés financières et que la seule solution possible soit l’austérité, mais ce n’est même pas le cas du Canada, qui roule tellement sur l’or qu’il est prêt à offrir des avantages fiscaux aux familles les mieux nanties par le biais du fractionnement de revenu. Ça donne une idée des «clientèles» courtisées par le gouvernement Harper.

S’il y a une institution canadienne que les Québécois ont à cœur, parfois en dissonance cognitive chez certains souverainistes, c’est bien Radio-Canada. Ça nous donne une idée de la justification idéologique du saccage d’une institution qui coûte, à chaque Canadien, 34$ par année.

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