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Le règne de la beauté

Photo: Télé-Québec

Dans la mythologie populaire, l’expression «beauté fatale» renvoie à cette idée que la beauté féminine tue. Dans les films hollywoodiens, la femme fatale est généralement une menace pour l’homme qui tombe dans son piège. Dans le film de Léa Clermont-Dion, l’expression renvoie plutôt à cette idée que de plus en plus, le culte de la beauté rend les femmes malades, au point où certaines en perdent la vie. Juste remise en perspective des choses, à mon avis.

Peu d’hommes comprennent, et on en a eu un bel exemple sur le plateau de Tout le monde en parle dimanche soir, la difficulté pour une femme de s’en sortir gagnante dans l’arène de l’apparence. Nous avons tous, homme ou femme, un rapport différent à la beauté. Qu’André Ducharme ait eu de la difficulté à vivre avec sa petite taille et qu’il en ait développé une force, l’humour, est extraordinaire. La femme est plus souvent perdante. Qu’elle s’en fiche, on la jugera négligée, ce qui ne manquera pas de lui faire rater des occasions. Qu’elle mette le paquet et on la jugera superficielle, on accordera alors peu d’importance à ce qu’elle a à dire. «C’est moi où la fille semble un peu trop princesse? Elle ne semble pas crédible avec son sujet», m’écrivait hier sur Twitter un homme qui admettait n’avoir ni lu le livre (La revanche des moches), ni visionné le documentaire de Léa Clermont-Dion, qui sera diffusé les 9 et 10 décembre à Télé-Québec. C’est vous monsieur. Mais en fait, c’est nous. Nous comme société. J’y reviendrai.

Le film de Léa Clermont-Dion nous transporte dans l’obsession de Léa, une obsession qu’elle traîne avec elle depuis plus de dix ans. Depuis dix ans, Léa s’interroge sur ce qui a fait d’elle cette victime de la beauté. Dans son film, elle admet sans complexes que cette obsession a fait d’elle une sorte de monstre. On lui reproche ses contradictions alors qu’elle est elle-même à la conquête d’une réponse à cette question : pourquoi suis-je si contradictoire? Un peu comme si on disait au patient souffrant de dépression que son problème était son humeur et qu’il n’avait qu’à être plus heureux pour que tout aille mieux.

Les contradictions n’enlèvent rien, donc, à la pertinence de la quête, au contraire, elles la justifient. C’est dans les réponses, que Léa semble errer depuis tant d’années. Depuis qu’on la connaît, la militante hyperactive semble avoir trouvé un coupable : l’industrie de la beauté (et aussi un peu Barbie). Vrai, les magazines, la publicité, les cosmétiques nous bombardent d’images d’un idéal de beauté unique et inaccessible. Mais comment se fait-il que peu d’hommes, qui sont eux aussi soumis à ces images difficilement atteignables d’abdominaux bien découpés, tombent dans la tyrannie de l’apparence? Comment se fait-il qu’ils vous regardent avec un air de «j’ai-tu l’air d’une adolescente complexée qui va aller vomir son repas pour maintenir sa taille de guêpe?» quand on leur demande «une p’tite salade avec ça» dans les annonces de la Cage aux sports?

J’ai un début d’hypothèse : contrairement aux femmes, les hommes ne se font pas dire dès leur plus jeune âge que leur principal atout est leur beauté. On leur dit qu’ils sont forts, logiques, intelligents, qu’ils peuvent être des héros, sauver des vies et marier une princesse s’ils sont de bonnes personnes avec de bonnes valeurs. La princesse, elle n’est que belle, une qualité sur laquelle une fillette est totalement dépourvue de contrôle, un contrôle que certaines tenteront de se réapproprié plus tard, avec les conséquences que l’on connaît.

Les garçons sont aussi félicités pour leur beauté, mais ils sont placés devant des milliers d’autres alternatives pour réussir leur vie. C’est plein d’autres caractéristiques qui seront valorisés tout au long de leur parcours, parfois aux dépens de la beauté. Cette idée, par exemple, que manger de la viande, c’est viril, ou cette impression que prendre soin de son apparence, c’est une affaire de moumounes. C’est probablement la raison pour laquelle les plus moches réussissent à passer par-dessus leurs complexes et même à en tirer des forces. Comme disait avec une grande lucidité Valérie Blais : «Pendant qu’on braille qu’on se trouve trop grosses, y’a des gros gars laites qui font plein de cash». Les garçons ont donc, en plus, des modèles d’hommes qui réussissent sans être des adonis.

En revanche, on parle constamment à la femme de sa beauté. Tout au long de sa vie. À combien de reprises a-t-on rassuré Mitsou quant à son apparence physique sur le plateau de Tout le monde en parle, dimanche soir? Comme si c’était la meilleure chose à faire, quand une femme admettait que son rapport à la beauté l’avait rendue malade. On pense faire la bonne chose, alors que tout ce que l’on fait, c’est de renforcer cette idée que le plus important, pour une femme, est d’être belle.

Si on cessait de rassurer les femmes sur leur beauté, peut-être qu’on pourrait enfin mettre l’accent sur toutes les choses qui font d’elles des personnes extraordinaires : leur intelligence, leur talent, leur force, leur humour, leur personnalité, leur persévérance, leur créativité, leur sens des affaires. Avec un peu plus d’alternatives pour se réaliser, elles en reviendraient peut-être, de leur apparence. Quant à Léa, bien sûr, elle est jolie, j’espère qu’elle sait aussi qu’elle est brillante, talentueuse, fonceuse et impressionnante.

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