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Le droit à l’erreur

Les temps sont durs pour les imparfaits.

La sanction populaire est expéditive, impitoyable, et n’entend pas pardonner. On semble attendre de tous qu’ils soient parfaits, et encore plus de ceux qui osent vouloir un monde meilleur. Une féministe trop soft aux yeux de certains sera vilipendée par celles qui se présentent comme de «vraies bonnes féministes». Une auteure de fiction sera critiquée pour ne pas avoir présenté une vision morale de la… réalité. Un auteur, chroniqueur, animateur, commentateur sera hanté pour le reste de ses jours pour des gestes probablement épais commis à une époque où la norme en matière de bon goût avait le dos pas mal plus large qu’aujourd’hui.

Le droit à l’erreur, c’est la meilleure défense, la seule possible, pour Jean Barbe aujourd’hui. C’est la seule que je lui concèderai.

Comme il l’explique dans le billet-fleuve qui compense peut-être pour des années de silence, le jugement qui a été rendu contre lui dans une cause du tribunal des droits de la personne le suivra toute sa vie, une peine qui peut paraître disproportionnée compte tenu des fautes reprochées. La plaignante accusait alors son superviseur de l’époque à l’émission La vie d’artiste de Radio-Canada, de harcèlement à caractère sexuel et racial. Les faits se seraient produits entre décembre 1996 et avril 1998.

La lecture du jugement offre un portrait dévastateur, monstrueux, du personnage que l’on savait déjà charismatique.

À l’époque, Michaëlle Jean avait même témoigné en faveur de la plaignante, confirmant que Jean Barbe, en les voyant ensemble, leur avait bel et bien dit «Mais c’est quoi? C’est une réunion de femmes noires? C’est quoi, là, les Noires se réunissent?»

Aux lendemains du jugement, les collègues de Jean Barbe avaient envoyé une lettre d’appui à La Presse dans laquelle ils réfutaient les allégations de la plaignante. J’aurais vite conclu à une vaste opération de «whitesplaining» si, parmi eux, ne se trouvaient pas des personnes farouchement sensibles aux droits de la personne et en particulier à celui des minorités.

Reste qu’il peut être parfois difficile pour un groupe appartenant à une majorité privilégiée de reconnaître les gestes qui peuvent être offensants pour une personne marginalisée. J’ai souvent à ouvrir les yeux de personnes pas du tout homophobes sur la portée de leurs paroles qui ne sont autrement pas mal intentionnées.

Pour le reste, les explications de Jean Barbe ne m’intéressent pas. Il y a quelque chose de maladroit dans sa façon de s’expliquer sans vraiment s’excuser, d’accuser par la bande une jeunesse vierge de fautes et avide de vertu, dans sa mise en contexte tantôt grandiloquente, tantôt victimisante. Aussi, je ne connais pas la victime, les faits se sont produits il y a des lunes, les normes ont changé depuis, si bien que ce qui était vaguement inacceptable en 1996 pourrait très bien être complètement déplacé aujourd’hui. Il a dit ci, elle a dit ça, et nul ne saura jamais le fond de l’histoire.

Il y a certes quelque chose de très fâcheux dans le fait qu’une femme noire disant avoir été victime de harcèlement en soit sortie perdante – à ma connaissance, la plaignante ne fait pas carrière dans le milieu qu’elle convoitait à l’époque – alors que Jean Barbe continue à jouir de sa notoriété, même si force est d’admettre que celle-ci connaît des écueils.

Mais je pense en effet qu’un jugement, même fondé, à l’endroit de Jean Barbe, ne mérite pas le silence éternel. Je pense que nous pouvons faire preuve de plus de compassion à l’égard de ceux qui commettent des erreurs, de plus d’ouverture face à une éventuelle réhabilitation. Sans réhabilitation possible, à quoi bon donner des leçons! Mais pour mériter cette ouverture, encore faut-il faire son propre examen de conscience. Celui-ci passe aussi par la compassion.

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