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On calme sa joie au sujet de l’Irlande

Plusieurs personnes se réjouissent que l’Irlande ait voté – par voie de référendum – en faveur du mariage pour tous. Il y a, en effet, de quoi se réjouir que des milliers d’Irlandais ne soient plus considérés comme des citoyens de second rang. Mais il y a aussi quelques raisons de ne pas se réjouir tant que ça.

Premièrement, on ne peut pas dire que l’Irlande soit très avant-gardiste en adoptant le mariage pour tous 26 ans après que le Danemark ait reconnu les unions civiles homosexuelles en 1989, et 14 ans après que les Pays-Bas aient entériné le mariage pour tous. Au Québec, les unions civiles sont reconnues depuis 2002, et le mariage depuis 2004. Partout au Canada, les provinces ont adopté des législations semblables après que la Cour suprême ait déterminé que l’interdiction pour les couples de même sexe de se marier était inconstitutionnelle.

La seule raison pour laquelle on souligne avec un aussi grand tapage le cas de l’Irlande est qu’il s’agit du premier pays à adopter une telle loi par voie de référendum. Mais est-ce une si bonne nouvelle?

Étant donné que le «Oui» a gagné, on serait tentés de dire que c’en est une. Mais il y a quelque chose de profondément dérangeant à soumettre le sort d’une minorité aux humeurs d’une majorité. Le collègue du Journal de Montréal Pierre Trudel l’explique très bien ici.

Le Canada aurait-il été parmi les premiers pays du monde à reconnaître les mariages entre conjoints de même sexe s’il avait demandé au peuple de se prononcer sur le sujet? C’était il y a 11 ans. On dirait que ça s’est passé il y a une éternité tellement la chose est naturelle aujourd’hui, et pourtant, en fouillant dans les archives concernant cette question, on constate que la partie était loin d’être gagnée. On se demandait alors ce qu’il adviendrait des enfants, de leur filiation, de l’institution sacrée du mariage, du divorce, on était loin d’accepter d’emblée cette idée.

En août 2003, la chanson Crazy in love battait son plein, Colin Powell se justifiait d’envahir l’Irak à l’ONU, je terminais mes études universitaires, et 49% des Canadiens s’opposaient au mariage entre conjoints de même sexe d’après la firme Ipsos-Reid. Au Québec, l’appui était un peu plus fort, mais n’atteignait que 48% selon un sondage Crop/La Presse. Il aurait donc fallu travailler fort pour s’assurer d’une victoire du «oui».

La décision de la Cour suprême a eu pour effet de confirmer que les unions homosexuelles étaient tout aussi valables que les unions hétérosexuelles, et que les opinions de madame Tartempion ou de monsieur Untel à cet égard n’étaient d’aucune utilité. Les lois changent les mentalités, aussi. Cette décision aura permis d’élever les consciences. Aujourd’hui, l’appui aux unions homosexuelles est beaucoup plus consensuel. En devenant des citoyens à part entière, les gais et lesbiennes ont pu s’affirmer dans les 10 dernières années. Ils ont pu se marier et fonder des familles imparfaites comme les autres. Jamais – ou presque – les Canadiens ou les Québécois n’ont remis ces lois en question sous prétexte qu’il s’agissait d’une décision du «gouvernement des juges».

Pour reprendre les propos d’un autre collègue, Pierre-Luc Brisson, du Voir, il est amusant – moi j’aurais dit consternant – de constater qu’«une certaine droite nationaliste, suite au référendum irlandais, […] voit dans les résultats la victoire du peuple souverain contre le « gouvernement des juges ». « Voyez », nous disent-ils, « en république, c’est le peuple qui parle, et non les juges! » Le problème avec cette pensée, c’est qu’elle suppose et entérine son corollaire inverse: qu’il serait légitime pour le peuple, en référendum, de refuser ou restreindre certains droits à des minorités».

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Les chartes des droits n’existent pas parce que les juges sont plus smatts que le peuple. Elles existent justement pour protéger les individus des humeurs de la population à l’aide de dispositifs permettant de déterminer si des droits sont brimés ou non. Les opinions, préférences, degrés d’aisance, expériences personnelles, ne devraient pas intervenir dans le sort des minorités. Tantôt, ces humeurs voudront que l’on retire des droits à des individus sur la base de leurs croyances religieuses, et tantôt, ce sera sur la base de leur orientation sexuelle.

Pendant ce temps, en Irlande, on se demande si on ne devrait pas aussi soumettre la question de l’avortement, encore illégal, au vote populaire.

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