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Pas si rose pilule rose

FILE - In this June 22, 2015, photo, a tablet of flibanserin sits on a brochure for Sprout Pharmaceuticals in the company's Raleigh, N.C., headquarters. The Food and Drug Administration on Tuesday, Aug. 18, 2015, approved the first prescription drug designed to boost sexual desire in women, a milestone long sought by a pharmaceutical industry eager to replicate the blockbuster success of impotence drugs for men. (AP Photo/Allen G. Breed) Photo: Allen G. Breed / The Associated Press

Certaines féministes parlent déjà de révolution, d’autres y voient une nouvelle prison pharmacologique. L’Addyi, que les médias s’empressent de surnommer le «Viagra pour femmes», ce qui donne lieu à beaucoup d’incompréhension et à certaines blagues salaces plus ou moins réussies, révèle un rapport des plus complexes à la sexualité féminine et promet d’importantes divisions sur la question.

La bonne nouvelle, c’est peut-être qu’enfin, on s’intéresse à la sexualité féminine. Le Viagra est prescrit depuis la fin des années 90 et on fait la promotion décomplexée de ce comprimé qui permet aux hommes – jeunes et moins jeunes – d’avoir une sexualité épanouie. Il aura fallu 15 ans de plus pour qu’on trouve un équivalent pour la femme. Un équivalent qui n’en est pas un, en réalité. De ce que l’on en connaît, l’Addyi fonctionne plutôt comme un antidépresseur en régulant la sécrétion d’hormones responsables de fonctions comme le plaisir ou l’inhibition.

Il faudra donc que la femme souffrant de trouble de la libido s’administre le médicament – et qu’elle en subisse les effets secondaires – sur une longue période pour pouvoir profiter de ses bienfaits, bienfaits dont les preuves ne semblent pas convaincre le milieu scientifique. Le Viagra aussi comporte des effets secondaires, rappelle-t-on, mais ce dernier est utilisé de manière ponctuelle, ce qui n’est pas le cas de l’Addyi qui, en comparaison, semble être un vrai boulet médicamenteux. Devoir s’abstenir d’alcool et risquer de subir baisses de pression et évanouissements, à long terme, sans compter l’impact que peut avoir un médicament qui implique la production hormonale sur d’autres aspects de l’humeur, apparaît démesurément invasif, pour pouvoir espérer désirer une relation sexuelle de plus par mois.

Et d’abord, qui définit le nombre mensuel de relations sexuelles qu’une femme devrait souhaiter? Cette exigence s’ajoutera-t-elle à toutes celles auxquelles doivent répondre la parfaite épouse? Tout ça ressemble à une manigance pour répondre à l’exaspération masculine devant la phrase clichée : «Pas ce soir chéri j’ai mal à la tête». L’Addyi sera-t-elle une nouvelle prison pour les femmes? À qui le comprimé cherche-t-il à rendre service? Et en exprimant cette crainte, évidemment, on tombe dans l’autre piège : celui de nier l’importance du désir féminin.

Pour des raisons biologiques évidentes, la sexualité féminine ne fonctionne pas comme celle des hommes. On peut certainement trouver des explications sociologiques à cette différence. Un double standard entre hommes et femmes s’installe très tôt, dès lors que l’on valorise une sexualité précoce et abondante chez les jeunes hommes, alors qu’on attend des jeunes femmes qu’elles préservent leur hymen intact – pour ce que cela signifie – le plus longtemps possible. Les filles à la sexualité épanouie seront rapidement reléguées dans la catégorie «salope», alors que les gars aux nombreuses conquêtes seront jugés performants.

Il n’est donc pas étonnant que l’on n’appréhende pas de la même manière la question de l’épanouissement sexuel chez l’homme et chez la femme, et il est important que l’on se penche enfin sur les troubles du désir chez cette dernière. La femme, autant que l’homme, mérite de monter au plafond sans entraves. Toutefois, avec tous les inconvénients qu’il comporte et le peu de résultats qu’il promet, l’Addyi ne semble pas être la révolution que l’on attendait. Bien essayé, mais visiblement, nous n’y sommes pas encore.

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