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C’est qui, la victime?

Photo: Yves Provencher/Métro

Dans les bons coups qu’on peut faire pour la cause des personnes trans, il y a : donner de la visibilité à des personnes trans, comme Michelle Blanc, dans une émission de grande écoute, comme Le Banquier. Bravo Julie. Dans les moins bons coups, il y a le fait de ne pas reconnaître qu’une blague, échappée sur les réseaux sociaux, ait pu blesser Michelle Blanc. Mais il y a pire : faire de l’auteur de la blague maladroite, François Massicotte, une victime, comme l’a fait le Journal de Montréal en titrant «François Massicotte se fait insulter sur Twitter pour un gag sur Michelle Blanc».

Mise en contexte. Dimanche soir dernier, Le Banquier mettait en vedette plusieurs amis des animaux : Jacynthe René avec son âne Pépito, Vanessa Pilon avec son bouledogue Sarah, Korine Côté avec son lapin, Michelle Blanc avec son labradoodle, et François Massicotte avec son chat sphynx. En réponse à une pince de Mike Ward, François Massicotte a twitté : «Je suis allé parce que je pensais passer la soirée à côté d’une des beautés… j’étais à côté de Michelle Blanc!»

Michelle Blanc ne l’a pas trouvée drôle. Elle a exprimé son mécontentement sur Twitter. Elle n’a pas traité Massicotte de transphobe. D’autres s’en sont chargés. Le lendemain, François Massicotte a publié sur sa page Facebook un mot d’excuses qui, en réalité, avait toutes les allures d’une lettre de justification. «Si j’avais été à côté de Michèle Richard j’aurais fait le gag», a-t-il dit, notamment. François Massicotte était pourtant à côté de Marie Tifo, mais c’est de Michelle Blanc qu’il a choisi de rire. Pourquoi? C’est sûr que c’est beaucoup plus drôle de s’en prendre à une femme qui ne correspond pas aux canons de beauté parce qu’elle est très grande, qu’elle a de grandes mains et une voix très grave. Est-ce que c’est transphobe? Je ne suis pas certaine que ce soit aux personnes qui ne sont pas trans – et qui ne peuvent même pas se targuer de compter une personne trans parmi leurs proches – d’en juger.

Bien sûr, quand on se met à critiquer le travail d’un humoriste, il s’en trouve toujours pour crier à la censure, à la dictature de la rectitude politique. Comme si la liberté d’expression, si chère aux humoristes, devait se faire à sens unique. François Massicotte a autant le droit de faire sa joke qu’on a le droit de la critiquer. «Nous recevons maintenant 95% de messages en accord avec François», écrivait sur Twitter Bianca Longpré, conjointe et productrice de François Massicotte. Si la blague de François Massicotte reflète le discours dominant envers une minorité si peu connue, raison de plus pour le remettre en question!

«On va tu se mettre à expliquer nos jokes à chaque fois? se demandait François Massicotte au micro complaisant d’Éric Duhaime, qui en faisait lui aussi une victime de la rectitude politique. Si tu la trouves pas drôle, passe à l’autre pis c’est tout. Moi, des fois, j’entends des choses à la radio. Je peux pas croire que le monde trouve ça drôle, mais je vais pas l’écrire sur Twitter pis monter ça en épingle, pis créer une controverse sur quelque chose qui est mon opinion. Mon opinion, je la garde pour moi, j’la dis à ma blonde, pis c’est fini».

Quand une cause nous tient à cœur – pour certains, ça peut être la transsexualité, pour d’autres, les prestataires d’aide sociale –, il est normal de répondre à un discours qui nous déplaît et qui nous paraît nuisible. Je ne vois pas comment les personnes qui se sentent victimes d’un discours dominant peuvent soudainement passer pour les vilains bourreaux, simplement du fait qu’ils remettent en question ce discours.

Surtout lorsque la justification du discours donne lieu, cette fois, à de la réelle transphobie, comme ce fut le cas sur la page Facebook de François Massicotte. Heureusement, l’équipe de l’humoriste aura eu la décence de retirer le message, «parce que c’était rendu que des gens écrivaient des commentaires personnels sur Michelle Blanc», a expliqué Bianca Longpré au téléphone.

Michelle Blanc endure quotidiennement les pires insultes transphobes. Mais parmi les commentaires qui reviennent le plus souvent à son sujet : celui qui veut qu’elle ait la fâcheuse habitude de tout le temps se plaindre, d’être une victime perpétuelle, de pleurnicher dans les médias pour attirer l’attention. Si Michelle Blanc est si «fatigante», c’est peut-être qu’il y a encore beaucoup d’incompréhension à l’égard de la transsexualité. Je ne suis pas sûre qu’elle saute avec enthousiasme dans la controverse parce que ça l’enchante. On en ferait autant, si on portait seul la visibilité d’une cause.

Résultat de toute cette histoire dont Michelle Blanc serait la vilaine : on hésitera peut-être avant de lui donner à nouveau de la visibilité, pensant que Michelle, c’est du trouble, ça fait des controverses. Il aurait donc été beaucoup plus avantageux pour elle de ne pas répondre du tout, et que la vie continue jusqu’à que cela recommence. Pendant ce temps, les porteurs du discours dominant continueraient à passer pour les réelles victimes de la rectitude politique.

 

Ajout: Heureusement, Michelle Blanc est aussi capable de faire de l’humour.

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