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Elizabeth Plank : «Être féministe, c’est prendre la place que personne ne veut te donner»

Photo: Vox.com

Les États-Unis ont un nouveau président et à en croire les experts, on devrait s’inquiéter du sort réservé aux femmes. Je voulais l’opinion d’une féministe pour mieux comprendre l’ampleur des dégâts. J’ai parlé à celle qui faisait dessiner des vagins à ses collègues masculins: Elizabeth Plank.

Qui est Elizabeth Plank?
Arrivée à New York en 2012, la Montréalaise Elizabeth Plank a commencé en tant que stagiaire à Mic.com où ses articles dénonçant les injustices sociales ont rapidement attiré l’attention des internautes. En 2014, le magazine Forbes la nommait dans sa prestigieuse liste «30 under 30». Aujourd’hui, elle est productrice sénior et correspondante pour Vox.com pour lequel elle a largement couvert l’élection du nouveau président des États-Unis, dénonçant ses propos et actions sexistes.

Qu’est-ce qui a changé pour les femmes depuis l’époque où vous demandiez à vos collègues de dessiner des vagins, en 2014?
Donald Trump! Ai-je besoin d’en dire plus?! Nous sommes en 2016, on a fait des progrès sur la représentation des femmes au Congrès américain, où beaucoup de femmes ont été élues et pas seulement des femmes Blanches. On progresse dans certaines sphères, mais pourtant Donald Trump est le nouveau président des États-Unis, un homme qui s’est fait accusé par plusieurs femmes de les avoir agressées sexuellement. C’est aberrant pour moi de voir autant de femmes qui ont voté pour lui! Donald Trump ne respecte pas les femmes.

Aura-t-on besoin de plus d’Élisabeth Plank dans ces États-Unis de Donald Trump?
Quelques jours après l’élection, j’ai posté ça sur Instagram:


C’est un tel changement drastiquement négatif, je compare ça à un volcan qui vient d’exploser. Non seulement en terme de droits des femmes, mais également ceux des immigrants, des minorités. Il y a tellement de personnes qui vont subir les conséquences négatives de ce volcan que les personnes qui pensaient pouvoir rester passives, qui pouvaient rester silencieuses parce que les injustices n’étaient pas si grandes, qui laissaient soin aux autres de combattre les injustices sociales, vont se réveiller. Il faut plus d’activisme et de personnes qui éveillent les autres. Ça se passe déjà.

C’est donc un mal pour un bien?
Je suis pas capable encore de voir le bon côté d’une présidence Trump car nous sommes encore dans une période de recomptage [note: entrevue effectuée le 30 novembre]. On a pas assez parler du fait que la Russie a joué un rôle sans précédent dans cette élection. Huit jours avant les élections, Obama a dû appeler via une ligne téléphonique confidentielle pour demander à la Russie d’arrêter leur ingérence dans les élections. Les connections de Donald Trump et la Russie ont été prouvées. De là à penser qu’il y a eu du piratage… On est en 2016 et c’est Donald Trump, tout est possible.

Que pensez-vous de la défaite d’Hillary Clinton?
Ça semblait tellement inévitable d’avoir une présidente femme. Elle était tellement prête, tellement compétente, tellement expérimentée. On peut lui reprocher le serveur privé et quelques comportements, mais on ne peut pas lui reprocher son manque d’expérience. Et c’est ce qu’on dit souvent aux femmes, pas seulement en politique, mais dans le monde du travail en général. Les hommes appliquent pour des jobs pour lesquelles ils ne sont pas entièrement compétents, alors que les femmes ne font jamais ça. On s’est retrouvé avec la candidate la plus compétente et avec le plus d’expérience contre le candidat le moins compétent et avec le moins d’expérience. Ça ne me m’étonne pas du tout. En tant que femme qui vit dans le monde patriarcal dans lequel Hillary Clinton vit, c’est un phénomène qui m’est arrivé et que je vois se produire tous les jours. La société confond la confiance en soi et la compétence. Donald Trump était extrêmement confiant, assez pour faire croire à tout le monde qu’il pouvait être président des États-Unis. C’est un animateur de télé réalité! On attribut des qualités à Donald Trump simplement par le fait qu’il est un homme, parce qu’il s’exprime dans toute sa domination. Ce sont des qualités qu’on assigne à un meneur dans notre société, mais il n’y a pas de preuves qu’être agressif, dominant, interrompre les gens, ça fait un bon leader. Tandis qu’Hillary Clinton écoute, réfléchit, elle ne fait pas de promesse qu’elle ne peut pas tenir, ce sont des qualités de vrais leaders.

«Sur les 45 présidents qu’ont connus les États-Unis, il n’y a jamais eu de femmes, c’est du sexisme. 242 ans sans un président noir, c’est du racisme. C’est une société qui a de la misère à faire confiance aux femmes pour mener.» – Elizabeth Plank

Ses compétences et son expérience n’ont aucune valeur car c’est une femme?
Ce qui a permis à Hillary Clinton de se rendre là, c’est l’argent et l’expérience et ces deux choses-là sont ce que les Américains détestaient à propos d’elle. Ce ne sont des valeurs qu’une femme devrait avoir! Une femme ne devrait pas demander plus de pouvoir et ce n’est pas ce qu’on fait avec les hommes. Les Républicains ne sont pas les seuls à avoir fait ça, Bernie Sanders a joué ce jeu également. Il a contribué à cette idée qu’Hillary Clinton avait trop d’ambition. Quand dit-on d’un homme qu’il a trop d’ambition?! Les gens aiment Bill Clinton par exemple, alors qu’il utilisait lui aussi le serveur de courriels privé par exemple. On lui fait des reproches qu’on a jamais fait à Bill Clinton. Voilà ce que le sexe peut faire comme différence lorsqu’on parle de politiciens.

Quelles différences y a-t-il entre Montréal et New York lorsqu’on parle de la cause féministe?
Au début, je suis partie vivre aux États-Unis parce que j’avais l’impression qu’on avait besoin de moi. Ce pays, c’est comme le tiers-monde du monde développé! L’accès à la contraception, à l’avortement font encore partie du débat. De façon générale, le Canada est plus avancé. Aucune comparaison possible entre Justin Trudeau et Donald Trump sur leur perception de la femme. Au Québec, dans les médias, il y a encore beaucoup de travail à faire. Il y a tellement de femmes plein de talent qui m’impressionnent comme Tammy Pépin, Rose-Aimée Automne T. Morin, Judith Lussier… J’allume la télé, j’écoute la radio et je ne vois que des hommes blancs. Les médias sont vraiment un boys’ club! L’homme blanc à la télévision est la norme. Au mieux, on va rajouter des personnes secondaires de minorités visibles ou des femmes. Ce que fait Penelope McQuade, c’est super important mais je trouve qu’il devrait y en avoir plein d’autres! Sans minimiser le talent des hommes blancs au Québec, j’adore les médias québécois où je suis souvent invitée, ils sont de grande qualité, j’y ai parlé de féminisme et je peux voir qu’il y un grand intérêt pour ça, mais il existe une résistance au changement. C’est encore pire aux États-Unis évidemment! Au Québec, on est super progressiste et on tend vers la parité.

Comment as-tu su que tu étais féministe?
Ma mère est une grande féministe. Mes parents sont extrêmement engagés et m’ont appris, très jeune, l’importance de l’empathie. Ma mère me demandait tout le temps « Pourquoi tu ne t’identifies pas comme féministe? » Je détestais cette question, mais maintenant je me rends compte que la formule était parfaitement posée. J’étais mal à l’aise parce qu’il n’y avait aucune bonne raison de ne pas l’être et de ne pas avoir mon intérêt et celui des femmes à coeur. Ma raison à l’époque était que c’était un terme péjoratif. Les magazines que je lisais lorsque j’étais jeune, au Québec, expliquaient qu’il ne fallait pas parler trop fort pour plaire aux gars. Je me rappelle avoir essayer de me corriger pour être une fille que les gars allaient aimer: parler bas, parler peu, ne pas prendre trop de place. Être féministe, c’est l’inverse. C’est prendre la place que personne ne veut te donner. C’est vraiment dur! Surtout quand tu es adolescente alors que l’estime de soi est tellement fragile. J’espère que les choses ont changé et que les jeunes filles d’aujourd’hui ont des modèles forts et sont déterminées. Moi, j’étais weird. Je m’affirmais beaucoup mais j’avais peur.
J’ai tellement été intimidée que j’ai dû changer d’école. À un moment j’ai réalisé que j’étais tannée de plier parce que j’étais trop ceci ou pas assez cela. À ce changement d’école, j’ai trouvé une nouvelle confiance, je me sentais acceptée et j’assumais d’être féministe. J’ai connu tellement d’expériences horribles avec des gars que je ne veux plus jamais essayer de plaire aux gens qui ne me respectent pas.
Au Cégep, j’ai été dans des groupes de femmes, je me suis intéressée au féminisme, j’ai lu des livres. À l’université, je me suis dirigée vers des études féministes. J’organisais des évènements, des levées de fonds, j’étais vraiment dedans! Je savais que c’était ma passion et je me sentais tellement chanceuse de l’avoir trouvée. Maintenant je travaille là-dedans, c’est incroyable! Je suis vraiment privilégiée.

Ayant eu un physique moins attrayant, ta carrière aurait-elle été différente?
Les femmes doivent être jeunes et belles pour être présentes dans les médias. Les hommes peuvent vieillir. On les respecte plus car ils ont l’air d’avoir plus d’expérience et de sagesse. Les femmes se font systématiquement remplacées passé un certain âge.

«Je suis très consciente du fait que dans la vie, mon physique m’apporte énormément de privilèges et d’opportunités.» – Elizabeth Plank

Je viens d’une famille de classe moyenne, je n’ai jamais eu à me soucier d’avoir assez à manger. De plein de façons, pas seulement par mon physique, je suis extrêmement privilégiée. C’est pour ça que c’est si important pour moi d’aider celles qui n’en ont pas autant, à se faire entendre, à être leur voix.

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