Mes grands-parents se sont installés dans l’est de Rosemont, sur la 26e Avenue, pendant la Deuxième Guerre mondiale, en 1941. Mon grand-père venait de se trouver un nouvel emploi de livreur chez un grand boulanger et ma grand-mère était enceinte de son deuxième enfant (elle en aura sept). La 26e Avenue de l’époque était presque la fin de Rosemont; quelques rues plus tard, des champs s’étiraient jusqu’à la côte des Frères Franciscains, coin Rosemont et Lacordaire, où mes oncles, mes tantes et leurs amis allaient glisser l’hiver.
C’est du moins ce qu’on m’a raconté.
Dire que ce coin de Rosemont était habité par des Blancs francophones de religion catholique serait énoncer des évidences. Le métissage n’était pas un concept à la mode. Un homme du coin m’a d’ailleurs déjà dit qu’il n’avait jamais mis les pieds à l’ouest du boulevard Saint-Laurent avant l’âge de 25 ans. «On ne connaissait personne là-bas», m’a-t-il affirmé, en guise de justification. Mais même dans cette communauté homogène, toutes les strates économiques existaient: du propriétaire de la classe moyenne aisée habitant sa maison unifamiliale de Cité-Jardin (un projet inauguré en 1942 à l’occasion du 300e anniversaire de la ville) jusqu’aux ouvriers des immeubles et aux énormes familles qui s’entassaient dans les plex situés plus au nord.
La ville de Montréal a bien changé depuis sa fondation. Chaque décennie a connu son lot de transformations. Elle est devenue une métropole riche, une courtepointe de quartiers hétéroclites à l’architecture parfois étrange et bigarrée, une ville qui s’est d’abord développée de manière organique, en fonction des besoins.
Une histoire où on apprend pourquoi Montréal n’est pas seulement une seule chose, mais plusieurs.
Bien qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir, Montréal est aujourd’hui une ville beaucoup plus consciente de sa diversité, une ville polyglotte dont les deux langues principales s’entrecroisent de manière complexe. On pourrait même défendre l’idée que Montréal est l’unique ville du Canada où les «deux solitudes» se sentent un tout petit peu moins seules. Montréal est aussi une ville où il fait bon vivre : cette diversité, cette cacophonie culturelle, architecturale et linguistique, loin de ghettoïser, apporte à la ville une profondeur qui renforce ses racines.
L’histoire de Montréal, comme toute l’histoire humaine, est loin d’être rose et est jalonnée de souffrances et d’injustices. En outre, il est permis de penser que certaines choses progressent et que Montréal a tout ce qu’il faut pour être une ville créative, une ville qui saura s’adapter – peut-être mieux que d’autres – aux défis technologiques, culturels, scientifiques et sociologiques des siècles à venir.
Si ce vieux monsieur de Rosemont – celui qui n’était jamais allé à l’ouest de Saint-Laurent avant l’âge de 25 ans – est encore en vie aujourd’hui, je souhaite qu’il soit fier du chemin parcouru. La preuve que les choses avancent, c’est que moi – un homme blanc francophone (athée, mais c’est un détail) né une génération après lui dans le même quartier –, non seulement étais-je allé à l’ouest de Saint-Laurent bien avant l’âge de 25 ans, mais la semaine dernière, je suis même allé virer jusqu’à Roxboro!
Imagine!