Près de chez moi, dans Rosemont, il y a une église anglicane très discrète. C’est une espèce de longue maison basse avec un toit rouge qui est coincée entre un triplex et une vaste cour attenante qui permet de communiquer avec la ruelle. Quand j’étais jeune, je croyais que cette maison était abandonnée. Personne n’en sortait ni n’y entrait jamais. Comme j’ai été élevé dans une maison qui avait la religion en horreur, nous ne faisions jamais grand cas de cet édifice.
Or, depuis deux ou trois étés, il semble y avoir eu un semblant de mouvement dans ce lieu de culte aux teintes bourgogne. Un petit jardin a été aménagé dans la cour; un poulailler est aussi venu ajouter un peu de cot-cot au voisinage. Les dimanches, une petite congrégation s’y rassemble parfois.
La fin de semaine dernière, ils étaient anormalement nombreux. Des guirlandes décoraient la petite cour, les poules s’étaient mises sur leur 36 et un barbecue répandait une fumée aux arômes délicieusement carnivores. Comme je passais dans la ruelle, une dame de la congrégation m’a invité avec insistance à venir me joindre à une fête. On célébrait la retraite de la pasteure, m’a-t-elle expliqué, en montrant une femme aux cheveux blancs qui riait aux éclats un peu plus loin, au centre d’un petit attroupement. Je me suis assis à une des tables de pique-nique installées pour l’occasion, mi-gêné, mi-curieux.
Quelques minutes plus tard, la pasteure s’est approchée de ma table avec le sourire, vêtue d’un col roulé bleu poudre et de bermudas multicolores de type hawaïens. Elle portait des mitaines de four et tenait une énorme assiette remplie de hot-dogs; une croix pendait à son cou, prouvant qu’elle s’intéressait autant aux choses terrestres qu’aux choses célestes. Dans un français légèrement cassé, elle a commencé à me parler de sa congrégation : la moitié était originaire des Caraïbes (de la Barbade, notamment) et l’autre moitié d’un peu partout sur l’île de Montréal. La pasteure était elle-même venue de Baie-D’Urfé pour officier dans cette église depuis maintenant 30 ans.
L’énergie et la gentillesse de cette dame étaient contagieuses, et l’ambiance accueillante de ce rassemblement n’était pas étrangère à la personnalité de sa chef d’orchestre. La pasteure semblait appartenir à ce genre de personne à qui on aurait – c’est le cas de le dire – donné le bon Dieu sans confession.
Malgré mon athéisme et ma méfiance viscérale envers les religions, je me surpris à être très à l’aise avec cette dame. Ce n’était pas étonnant que ses ouailles se tournent vers une personne comme elle pour être guidées : son écoute, son amour pour les gens et sa gentillesse étaient inspirants et rompaient avec l’individualisme dominant.
Elle m’a proposé de prendre quelques hot-dogs de son assiette, ce que je me suis empressé de faire. Puis, juste au moment où je prenais ma première bouchée, elle m’a dit:
– Mais vous, vous croyez en Dieu, n’est-ce pas, jeune homme?
– Euh… je… c’est que… ai-je dit, la bouche pleine.
– Mais non, c’est une joke! Bon appétit! a-t-elle poursuivi avec un clin d’œil.
– …
Et tannante en plus!