La question du fossé générationnel ressurgit ces jours-ci dans plusieurs de nos débats de société. On accuse les baby-boomers par ci, les milléniaux par là; les premiers ayant, semble-t-il, détruit toute possibilité d’avenir et les seconds dilapidant, à en croire plusieurs, notre dernière chance de construire un avenir en commun.
Le conflit entre les générations est un problème millénaire. Socrate, au IVe siècle avant notre ère, a été accusé de corrompre la jeunesse en raison de sa propension à discuter, dans l’agora d’Athènes, de sujets politiques et philosophiques controversés. Le philosophe a été condamné pour cette offense et a trouvé la mort en buvant la ciguë.
Le dialogue intergénérationnel est d’une importance capitale dans toutes les sociétés parce que c’est sur lui que repose l’idée même d’éducation. En effet, c’est parce qu’une société croit que les plus vieux peuvent (et doivent) communiquer des connaissances, des règles de vie, des mœurs, bref, une culture aux plus jeunes qu’elle investit aussi massivement dans un système d’éducation, au point de rendre l’école obligatoire, au Québec, jusqu’à l’âge de 16 ans.
Il existe plusieurs embûches psychologiques qui nuisent au dialogue intergénérationnel, mais la principale est qu’aucune des parties ne semble prendre l’autre au sérieux.
Cela dit, la difficulté d’établir un dialogue générationnel est encore une question d’actualité. C’est d’autant plus vrai, semble-t-il, quand vient le temps de parler de politique ou de vivre-ensemble. Il est par exemple difficile de faire l’analyse des cas récents de Kanata et de SLĀV sans faire intervenir quelque chose comme un clivage générationnel. Par-delà les insultes et les cris lancés dans le vent chaud de l’été, il suffisait de tendre l’oreille pour percevoir cette acrimonie générationnelle. Les plus jeunes ont eu tôt fait d’accuser les plus vieux d’immobilisme, de lâcheté et d’apathie. Les plus vieux ont attaqué la folie des plus jeunes, leur radicalisme et leur ignorance de l’histoire.
Il existe plusieurs embûches psychologiques qui nuisent au dialogue intergénérationnel, mais la principale est qu’aucune des parties ne semble prendre l’autre au sérieux. Les plus vieux traitent les plus jeunes de manière paternaliste parce qu’ils ont l’impression d’en connaître plus qu’eux sur tous les sujets et surtout parce qu’ils se reconnaissent en eux.
Vieillir est, presque par définition, connaître un spectre toujours plus grand d’expériences de vie (souffrances, joies, ambitions, déceptions, illusions et désillusions, etc.), et les plus vieux se sentent en droit de dire aux plus jeunes : «Vous verrez bien.» À l’inverse, les plus jeunes considèrent l’expérience des plus vieux comme figée, caduque et dépassée pour faire face aux nouveaux défis (politiques, technologiques, environnementaux, etc.). Les plus vieux ne seraient plus dans la game, parce que, comme on aime à le rappeler constamment, on est en 2018.
Ce silence aveugle de part et d’autre est d’autant plus problématique qu’il ajoute une couche de mépris et d’arrogance sur des débats qui sont déjà trop émotifs. Il est essentiel qu’un canal de communication intergénérationnel demeure ouvert. Parce qu’au-delà de nos différences d’âge, il reste que nous sommes tous des contemporains. La femme de 25 ans partage beaucoup plus de traits communs avec un homme de 75 ans qu’avec quelqu’un qui naîtra en 2200. Et si notre souhait, c’est qu’il reste encore quelque chose comme une planète pour accueillir cet enfant de l’avenir, il faudrait peut-être réapprendre à se parler.