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Les pâturages

Pas-de-bourré et révérence à vous. De retour après une vacancette qui m’a amenée à renouer avec les délices de respirer puissamment dans un pâturage et de fixer l’horizon (les pâturages en étant grassement équipés), me voilà fin prête pour… eh bien pour la suite, là. Après une brève pause, un congé ou une escapade beauté dans le Delaware, on se sent tous, du moins momentanément je crois, délicatement arrachés à la légèreté. Vous savez, celle qu’on a cultivée en faisant l’étoile dans une mare. En se faisant solennelle promesse de prendre soin. De ralentir, un peu. D’exploiter l’entièreté de ce carrousel à épices à volaille qui ne demande qu’à sublimer ta poule. De faire fleurir ce qui dort.

Je mentionnais l’horizon, il y a quelques mots. De retour à Montréal, je constate à quel point il est difficile d’en avoir un, horizon, ici. Un espace où se perdre les yeux. Sitôt la noix dans les airs, des blocs, des buildings, une grue (pas le wézo), le respire interrompu avec fracas par un projet résidentiel futuriste aux fenêtres jaune serin. Nulle pause ni hamac pour les globes oculaires sursollicités. Pas de grand vide. Ce vide nécessaire. Toujours la brique, la turgescence urbaine et le boucan.

J’aime Montréal, bien que née pour vivre nue et seule dans un verger avec, pour uniques compagnes, les Ruby Red Delicious. À la rigueur, quelques pommes Gala pour les mondanités du jeudredi. Le silence, les merles et la croustade.

Il appert toutefois, ET ÇA ME MINE, que la vie ne permette pas exactement ce mode de vie fruitier. Loin de moi le spasme de vous remplir avec ce sombre cliché que les affaires vont trop vite, que tu ne vis que l’espace d’une samarcette sur la frise du temps et qu’il te faut t’inscrire au yoga-manouche pour saisir la vie comme Gwyneth. Je constate simplement à quel point il est facile de s’insérer le crâne dans l’orifice (celui de ton choix) et de s’y perdre tout l’an durant. Paupières closes. De courir après cette chose pas claire qui revêtit tantôt les bas résille du succès, d’une berline ou du galbe retonifié d’un plancher pelvien.

Ce matin, je découvrais avec frayeur les nouveaux iPhone fraîchement expulsés par le monsieur qui semble donner un petit bec sur le front de la photo de Steve Jobs chaque matin en se levant. Trois nouveaux modèles du futur. Trois modèles encore plus performants. Plus rutilants. GROS. Avec châssis en acier inoxydable de haute qualité. Et 60 % plus de couleurs (pour certains).

Je me demande à quel moment j’aspirerai à 60 % plus de couleurs (mon vétuste iPhone me mitraillant à l’instant une appréciable charrette de nuances entre le noir, le turquoise pâle, le cramoisi et la lumière que tu aperçois quand le petit Jésus vient te chercher). Courrai-je un jour après ces nouvelles nuances qui, me prévient-on avec dégoût, m’échappent? En ferai-je fixation en haletant bruyamment dans les portes vitrées du Apple Store? Tout ceci me terrifie. M’épuise.

Je retourne à l’instant zieuter mes portraits de pâturages avec pas beaucoup de couleurs.

La bise.

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