Il y a 29 ans, 14 jeunes étudiantes de l’École polytechnique perdaient la vie dans une violente tragédie qui allait secouer tout le Québec et marquer les esprits. Depuis, chaque année, une commémoration est organisée à la mémoire de ces femmes. Pour en discuter, Métro s’est entretenu jeudi avec Sophie Grégoire-Trudeau, qui était de passage dans la métropole avec le premier ministre pour assister à la cérémonie sur le mont Royal.
Pourquoi la cause de la violence faite aux femmes vous tient autant à cœur? Quel a été votre chemin vers ce combat?
Il y a 20 ans environ, quand j’ai voulu partager mon chemin de souffrance par rapport au désordre alimentaire, je me suis ouverte à la souffrance des autres dans une société où l’on bafoue les droits de trop de femmes et d’hommes. Tout ce qui touche à l’estime de soi chez la femme, à sa sécurité physique, émotionnelle et financière, ce n’est pas juste une cause, c’est un fléau. Il faut agir. (…) Quand j’ai commencé, je n’avais pas la plateforme pour rejoindre plus de gens, et si je n’avais pas décidé de partager cette souffrance, rien ne serait passé sur mon chemin. Il y a des alliés, à chaque étape, sur le chemin de l’égalité et de la justice. Notre vulnérabilité sert à guérir. La résistance, c’est une opportunité d’évoluer. Elle permet de nous réveiller. Alors, il faut se rassembler, changer nos actions dans les écoles, nos familles, les organisations. Sans ce filet social-là, on ne peut plus dénoncer, ni se croire entre nous.
Qu’avez-vous pensé du mouvement #MeToo, de ces femmes qui ont pris la parole?
Je n’ai pas été surprise par cette conversation, je l’avais à l’intérieur de moi depuis longtemps, avec mon entourage, avec les causes que j’épousais. Je me rendais compte de plus en plus que les gens en parlaient, mais publiquement, c’était encore un lac calme. Je ne suis pas surprise, il était à peu près temps que la vérité fasse surface. (…) Et oui, c’est inquiétant de voir des discours qui divisent sur les médias sociaux ou ailleurs, ça ne rend service à personne. Le langage qu’on porte a un impact, ce n’est pas anodin. D’ailleurs, toute parole qui tente de détruire la vérité, ou de créer la division, ça se fait au détriment de l’égalité. (…) Les femmes en politique, c’est super important. Si c’est pour servir nos concitoyens et qu’il n’y en a pas pour refléter notre réalité, on vit dans un mensonge.
Quelle est l’importance des commémorations annuelles de la tragédie de Polytechnique?
D’être là, c’est non seulement de témoigner notre solidarité, mais aussi pour se souvenir des familles brisées et des vies perdues pour une raison aussi affreuse. Mais c’est aussi pour continuer en tant que société à avoir la discussion et à prendre des actions pour commencer à vraiment parler de misogynie répandue, de sexisme, de l’impact sur la vie de ces femmes, de ces filles évidemment, de ces hommes et de ces garçons. Les hommes méritent plus que de grandir dans une société qui les enferme dans un carcan de masculinité. C’est une grande discussion à avoir, avec des petits gestes au quotidien qui pourraient changer beaucoup. On est en train de vivre à des points tournants en ce moment où les gens se conscientisent. Et où ils voient qu’il y a des conséquences.
Le recueillement pour les victimes de la tragédie de Polytechnique est prévu jeudi soir, à 17h, sur le belvédère Kondiaronk, en face du chalet du Mont-Royal.