À l’approche d’une élection, la chasse aux candidats prend des allures de conscription. Les principaux partis veulent attirer des noms de prestige et promettent d’augmenter la représentativité des femmes dans leur rang. Mais des candidates sont parfois placées dans des comtés ayant peu de chance de basculer en leur faveur, faisant en sorte que la proportion de femmes élues augmente lentement. Les défis sont propres à chaque personne qui fait le choix de la politique active, mais les femmes d’origines ethniques ou de classes sociales différentes font face à des obstacles intersectionnels importants et leur leadership est plus rapidement contesté. Elles ont l’impression de ne pas avoir le droit à l’erreur.
ANALYSE – Par Anne-Marie Pilote, Université du Québec à Montréal (UQAM) et Mireille Lalancette, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)
La Chambre des communes comptera plus de députées que jamais. Des 338 circonscriptions du pays, 102 seront représentées par des femmes. Du jamais vu ! Mais faut-il se réjouir d’un tel record, alors que la proportion de femmes élues ne dépasse pas le tiers de la députation (30 %) ?
Certes la tendance est à la hausse depuis 20 ans. Mais la proportion de femmes élues augmente très lentement. En 20 ans, elle n’a bondi que de 10 %. Elle a même parfois essuyé de légers reculs (notamment en 2006). Et si la composition de la Chambre actuelle demeure pratiquement inchangée par rapport à 2019, il en va de même pour la représentation des femmes qui passe de 29 % à 30 %.
Force est donc de constater que la distribution des sièges ne reflète toujours pas réellement la population canadienne – composée presque également d’hommes et de femmes –. Rappelons que la zone paritaire se situe entre 40 et 60 %. Le Canada ne l’a encore jamais atteinte. Qu’est-ce qui l’explique ? Et quelles sont les pistes d’action pour y remédier ?
Chercheures en communication politique, nous proposons quelques éléments de réflexion à partir de travaux sur la représentation et la médiatisation des femmes au sein des instances démocratiques.
Des circonscriptions « prenables »
Comme le faisait remarquer récemment le Groupe Femmes, Politique et Démocratie, les partis politiques détiennent la clé de la solution dans l’atteinte de la parité par le recrutement et la désignation de candidates dans des circonscriptions prenables.
Sur la question du recrutement, les cinq principaux partis politiques (PLC, PCC, NPD, PV, BQ) ont légèrement augmenté ou maintenu (autour de 43 %) le nombre de femmes ou de personnes de genres divers les représentant. Ce qui est une bonne chose. Le NPD a fait très bonne figure avec 178 candidates (52,6 %), le PCC un peu moins avec seulement 33 % de candidates.
Mais encore faut-il que les femmes soient élues. Si les chiffres ne sont pas encore disponibles pour les élections de 2021, une analyse des données électorales de 3882 candidatures des grands partis aux élections fédérales de 2008, 2011 et 2015 par CBC/Radio-Canada montre que les femmes se retrouvent plus souvent que les hommes dans les circonscriptions difficiles à gagner.
Les hommes sont placés en moyenne quatre fois plus souvent que les femmes dans des circonscriptions dites « château fort » de leur parti, soit une circonscription remportée lors des deux élections précédentes avec une marge d’au moins 10 %. On peut poser l’hypothèse que cela a encore été le cas en 2021. Les politologues Melanee Thomas et Marc-André Bodet utilisent l’image des « agnelles sacrifiées » pour parler des candidates féminines qui ne sont pas placées dans des comtés sûrs.
Le rôle des médias et des modèles
D’autres acteurs de la sphère politique détiennent également la « clé de la solution », comme les médias par exemple. Le thème de la parité a été pratiquement absent des pages des quotidiens lors des élections. Il n’a que peu, ou presque pas, été abordé à la radio et à la télévision. Pourtant, lors des dernières élections fédérales (2019), certains quotidiens, notamment Le Devoir au Québec avec sa « Vigie parité », chiffraient de semaine en semaine où en étaient les partis politiques par rapport à leur intention de recruter plus de femmes.
Vigie Parité, un outil voué à durer tout le temps de la campagne, reflétait les efforts des partis en même temps qu’il les incitait, par le texte et par l’image, à faire mieux l’un que l’autre. Malheureusement, cette initiative n’a pas été renouvelée en 2021. De tels outils, s’ils ne sont pas garants de l’élection de plus de candidates, ont le mérite de propulser dans l’espace public la question de la place des femmes dans les lieux de pouvoir.
Par ailleurs, le fait qu’il y ait peu d’élues se traduit par un manque de modèles à offrir aux femmes qui veulent se lancer en politique. La pression reste grande pour celles qui sont élues à être des modèles d’exemplarité et leurs échecs sont souvent ceux de toutes les femmes qui suivront et viendront teinter leur décision de se lancer en politique.
Comme c’est le cas dans d’autres domaines non conventionnels, l’absence de modèles fait en sorte qu’il est difficile de s’imaginer dans ce rôle. Lors de cette élection, nous avions, comme en 2019, une seule femme cheffe. Première femme noire et première Canadienne de confession juive à diriger un parti fédéral au Canada, Annamie Paul a connu plusieurs difficultés pendant la campagne électorale. Son leadership n’était sans doute pas rassembleur, comme les membres de son parti et les journalistes l’ont soulevé, mais elle affrontait un nombre considérable d’obstacles intersectionnels liés au genre, à la race et à la religion. Battue à plate couture dans sa circonscription de Toronto-Centre, la cheffe du Parti vert a finalement démissionné.
Des recommandations pour atteindre la parité
Alors que 2021 marque le 100e anniversaire de la première femme élue députée à la Chambre des communes, Agnes Macphail, le chemin vers la parité semble encore long à parcourir. Le Canada est au 58e rang du classement mondial du pourcentage de femmes dans les parlements nationaux dressé par l’Union interparlementaire. Il est loin derrière certains pays comme la Nouvelle-Zélande (49 %) ou la Suède (47 %).
Les chercheur·e·s ont déjà identifié les obstacles qui nuisent à la participation politique des femmes, à leur désir de se présenter en politique et à leur possibilité d’être élues et de rester au pouvoir. C’est en prenant appui sur les nombreuses recommandations formulées par les groupes de femmes, les politologues et sociologues qui travaillant sur l’enjeu de la place des femmes en politique, qu’il sera possible de continuer à renverser cette tendance.
Parmi ces recommandations, notons l’obligation pour les partis de respecter la « zone paritaire » lors du recrutement des candidat·e·s ; la publication, par les partis politiques, d’un bilan de leurs pratiques et d’un plan d’action pour augmenter les candidatures féminines ; l’instauration de mesures de conciliation travail-famille ; le financement de projets structurants pour favoriser la présence de femmes en politique.
D’ici l’atteinte de la parité, on pourra au moins compter sur Justin Trudeau, qui présentera sans doute un cabinet paritaire, comme en 2015 et en 2019. Ces femmes serviront de modèles pour les suivantes et viendront donner espoir à toutes et à tous de se trouver dans un monde politique qui reflète mieux la composition de la société.
Anne-Marie Pilote, Doctorante en communication, Université du Québec à Montréal (UQAM) and Mireille Lalancette, Professor, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)
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