CHRONIQUE – Suivant les indications – mauvaises – d’un quidam, je marche comme une bête direction Îles Sanguinaires, depuis maintenant deux heures. Faut absolument y voir le coucher de soleil, de l’avis général. Mais je vais rater, à ce rythme.
J’ose l’impoli en demandant à la prochaine camionnette de s’arrêter, ce qu’elle fait. Son chauffeur, probablement habitué à l’incurie touristique, anticipe mon mini-désarroi et m’invite à grimper. Il est en ligne.
-Tu lui as dit les tarifs, au touriste?
-Oui, c’est 500 euros pour le 5 minutes de route.
On rit.
-C’est un Québécois, ton mec. Alors profite bien. Les Québécois, sont idiots, mais riches!
Il connaît Legault, faut croire.
Les deux raccrochent.
-C’est vraiment gentil, merci beaucoup.
-Bah, c’est normal.
-Quand même. Tous les gens rencontrés sont hyper sympathiques, ici. Un peu différent de Paris…
Mon interlocuteur s’offusque presque.
-Eh ben voyons, c’est une évidence, tu parles!
Son accent, succulent, badigeonne chacun de ses mots.
-Vous parlez encore le Corse, entre vous? Et j’ai remarqué que tout est affiché en français, partout….
-Ça se perd tranquillement. Les plus vieux le parlent tous. Les plus jeunes, de moins en moins.
-C’est triste, non?
-Oui, surtout que nos aînés se sont battus pour le conserver. À l’époque, il était interdit de parler corse, même dans la rue. Mon arrière-grand père l’a vécu.
-Mais c’est maintenant possible même dans les institutions, non?
-Oui, mais ça été long. Il a fallu se battre.
-Et l’indépendance? Le rêve demeure?
-Mais bien sûr! De quoi tu parles?
-Pourquoi?
-Comment pourquoi? Parce que c’est comme ça, parce que nous sommes Corses et pas Français, c’est tout!
-Mais dans les sondages, l’option est à son plus bas, non?
-Bien entendu. C’est compliqué, tout ça. On est dépendants énergiquement de la France. Économiquement aussi, beaucoup. Parce que mis à part le tourisme, ce n’est pas évident, ici.
-Donc des raisons économiques, surtout.
-Oui voilà.
-On la verra un jour?
-Je sais pas.
Arrivés à bon port, Arthur refuse tout fric, rien à faire.
-S’il te reste du jus dans les pattes, tu grimpes là-haut et tu kiffes la vue. Tu verras, c’est magique.
Tu parles.
****
Tout l’est, en fait. L’île de la beauté, dit-on. Euphémisme. Mais au-delà de son esthétisme, la bonne humeur de ses gens est aussi hors du commun. Des 70 000 habitants d’Ajaccio, tous semblent se connaître… et s’apprécier. Un gros village sympa où il fait bon vivre, en somme. Les plus jeunes s’échangent en français, les plus anciens, l’inverse. Attablé à quelconque terrasse, on me salue.
On y lit, pratiquement à chaque table, les journaux du jour. Les chiens, bienvenus partout, assistent alors aux échanges, vifs et essentiellement politiques, de leurs humains respectifs.
M’apercevant pour la deuxième fois à son resto, un gentil proprio m’aborde plus en détails :
-Alors, le Québécois, on est journaliste?
-Comment vous savez?
-Bah, on devine, avec vos questions. Vous connaissez le gars, là-bas? C’est Pierrot. Il était membre du Front de libération nationale corse. Il faisait des cambriolages, pour l’organisation. On l’appelait l’anguille. Comme il est tout petit, il se faufilait partout. Viens, on va lui parler.
L’anguille nous entend:
-Je ne parlerai pas, sauf avec de la gnôle, dit-il en pointant son verre.
Son collègue d’en face, Antoine, est plus loquace.
-Qu’est-ce que ça prend pour repartir l’idée d’indépendance? Quelques nuits bleues! Des petits attentats, quoi, Que ça brasse, un peu. Rétablir le rapport de force que nous avons perdu.
-L’île a voté Le Pen, aux dernières présidentielles. Surprenant?
-Bah, le taux d’abstention était énorme. Les indépendantistes ne vont pas voter à ces conneries de présidentielles françaises. Le Pen refuse d’ailleurs de venir ici, parce qu’elle sait qu’elle se fera chahuter.
-Et ceux qui votent pour elle?
-Ils en ont marre, de la France, de l’Union européenne.
-C’est tout?
-C’est tout. D’ailleurs, tu sais que l’été, ici, en fin de soirée, on chante toujours la même chanson québécoise.
-Laquelle?
-Le loufoque en Alaska.
-Le phoque !
-Oui, c’est ça.
Il se met à fredonner, savoureux accent en prime :
-Cré moué, cré moué pas, quek part…
-Eh ben…
-On vous aime bien, Québec. C’est pour quand, vous, votre indépendance ?
-C’est triste, non?
-Oui, surtout que nos aînés se sont battus pour le conserver. À l’époque, il était interdit de parler corse, même dans la rue. Mon arrière-grand père l’a vécu.
-Mais c’est maintenant possible même dans les institutions, non?
-Oui, mais ça été long. Il a fallu se battre.
-Et l’indépendance? Le rêve demeure?
-Mais bien sûr! De quoi tu parles?
-Pourquoi?
-Comment pourquoi? Parce que c’est comme ça, parce que nous sommes Corses et pas Français, c’est tout!
-Mais dans les sondages, l’option est à son plus bas, non?
-Bien entendu. C’est compliqué, tout ça. On est dépendants énergiquement de la France. Économiquement aussi, beaucoup. Parce que mis à part le tourisme, ce n’est pas évident, ici.
-Donc des raisons économiques, surtout.
-Oui voilà.
-On la verra un jour?
-Je sais pas.