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Devrait-on cesser de traiter la neige comme un déchet?

Montréal débourse plusieurs millions de dollars chaque année pour retirer la neige des voies publiques. Cette neige fraîchement récupérée est ensuite envoyée vers l’un des dépôts de neige de la ville, où on l’enfouit loin des regards. Considérant que l’on déneige environ sept millions de mètres cubes de neige chaque année, ne serait-il pas temps de se pencher sur la possibilité de traiter la neige comme une ressource plutôt qu’un déchet? C’est ce que croit l’architecte et professeur à l’École de design de l’UQAM, Patrick Evans.

Comme il le mentionne dans son livre pour enfant Où va la neige?, la Ville fait affaire avec des ingénieurs en traitement des résidus pour gérer les opérations de déneigement et d’enfouissement. Évidemment, la neige doit être traitée puisqu’elle contient des «traces de métaux lourds et d’autres toxines» en raison de la pollution automobile. Il s’agit néanmoins d’un choix d’expert qui trahit un paradigme qui pourrait changer, soutient M. Evans.

Cette idée que nous habitons un territoire nordique mais qu’on n’est pas intéressés par la neige et son potentiel, autant architectural qu’urbain et énergétique, c’est une lacune qu’il faut qu’on règle.

Patrick Evans, architecte et professeur à l’École de design de l’UQAM

Utiliser la neige pour ses vertus intrinsèques, notamment sa froideur, ne serait ainsi pas une pratique réellement nouvelle à Montréal. «Montréal a entreposé de la glace du Saint-Laurent dans des silos au centre-ville pendant une centaine d’années. On l’utilisait pour refroidir notre viande», souligne M. Evans.

De l’or blanc?

Le professeur, qui œuvre dans le laboratoire de design nordique N360 de l’UQAM, décrit que pour trouver des idées, il «compare à d’autres villes nordiques pour voir ce qui peut être fait en termes de design et d’urbanisme».

Dans le monde, des utilisations originales, il n’en manque pas. Par exemple, un hôpital à Sundsvall, en Suède, est «refroidi depuis 2004 avec de la neige qu’ils entreposent», mentionne Patrick Evans. Interreg Europe, un groupe de recherche cofondé par l’Union européenne, rapporte que la consommation électrique de l’hôpital a baissé de 90% depuis l’implantation de la nouvelle méthode de refroidissement.

Intéressant, surtout quand on pense que le besoin de refroidissement risque de devenir un facteur de plus en plus important de notre consommation énergétique.

On a récemment eu un record de consommation énergétique cet hiver, mais bientôt, nos jours de consommation énergétique les plus hauts seront en août.

Patrick Evans, architecte et professeur à l’École de design de l’UQAM

Sundsvall n’est pas un cas isolé. L’aéroport d’Oslo a aussi implanté une méthode similaire et des centres de serveurs au Japon utilisent aussi la neige pour réguler leur température.

Pour arriver à conserver la neige de l’hiver, Patrick Evans décrit qu’on peut l’isoler en y appliquant «des résidus de bois. On peut ensuite aller chercher ce froid-là dans les saisons chaudes», poursuit-il.

Utile mais aussi belle

Outre l’utilisation énergétique que peut procurer la neige, il ne faut pas ignorer son côté potentiellement esthétique. «Ça n’a pas à être de la sloche noire», croit M. Evans. Par exemple «le jardin d’hiver sur le toit de l’hôtel Bonaventure, c’est le plus magnifique jardin d’hiver qu’on peut imaginer». Ce qui rend l’endroit magique, c’est «qu’ils laissent la neige en place».

Le professeur et architecte croit ainsi qu’on peut réfléchir à notre rapport avec la neige avant même de penser à la transformer. «Si traitée de façon intelligente, ça peut faire partie du paysage hivernal, lance-t-il. Il y a possibilité de laisser une quantité de neige à certains endroits.»

Toujours en Suède, dans un village, «certaines rues sont à moitié déneigées et les gens peuvent circuler sur cette partie-là en toboggan ou en ski», cite ainsi M. Evans.

Évidemment, cesser de déblayer les moitiés de chaque rue de la métropole peut paraître irréaliste, mais l’idée serait plutôt de l’essayer localement, de la même manière «qu’on peut avoir des rues piétonnes l’été, croit l’expert. Ça prend des projets pilotes».

Selon lui, ce changement de rapport vis-à-vis la neige pourrait aussi générer des économies, moins de ressources destinées au déneigement étant mobilisées par l’administration publique.

Un vrai enjeu social

Outre l’économie énergétique, revoir notre rapport à la neige permettrait de régler la problématique sociale que vivent les citoyens résidant près des dépôts à neige. Le plus grand d’entre eux, la carrière Francon, à Saint-Michel, illustre bien le coût éthique sous-estimé des opérations de déneigement.

La carrière Francon Photo: Gracieuseté, Facebook Carrière Francon: Cœur de notre quartier

Alors qu’ils se dirigent souvent simultanément vers cette carrière, une grande quantité de camions de déneigement génèrent du trafic et engendrent des gaz à effet de serre. Étant souvent «longtemps arrêtés aux feux rouge» des voies se rendant à la carrière, les polluants expulsés par ces véhicules lourds affectent plus particulièrement ceux qui habitent la zone.

«Les enfants doivent détourner la carrière de plus d’un kilomètre de long, ils marchent plus d’une heure pour aller à l’école. Avec deux cents camions par heure, c’est inacceptable», tonne Patrick Evans.

«Faut arrêter d’envoyer nos problèmes ailleurs et faire comme s’ils n’avaient jamais existé», termine l’enseignant.

Rappelons que la situation de la carrière de Saint-Michel avait fait l’actualité en 2018, alors que Montréal voulait y ajouter un centre de recyclage, ce qui aurait aggravé la problématique, selon les résidants. Le projet a été annulé, mais les effets néfastes du déneigement se font toujours sentir dans ce quartier. L’organisme Vivre Saint-Michel en santé propose d’ailleurs de revisiter l’utilisation de la carrière «pour en faire un modèle d’innovation sociale et environnementale de rang mondial».

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