Alors que les modèles en agriculture sont saturés et que les défis écologiques deviennent de plus en plus pressants, les femmes doivent prendre plus de place pour développer de nouveaux modèles agricoles de proximité où le «care» et le respect des écosystèmes sont des principes fondamentaux. C’est ce que soutient la sociologue et cofondatrice du Groupe de recherche sur le travail agricole (GReTA) de l’UQAM, Julie Francoeur, dans son dernier livre intitulé Sortir du rang: la place des femmes en agriculture.
Son essai, paru chez les Éditions du remue-ménage le 1er mai, brosse un portrait de la place (invisibilisée) qu’ont occupée les femmes dans les fermes du Québec depuis le 19e siècle, en passant par le tournant productiviste suivant la Deuxième Guerre mondiale. En allant à la rencontre des agricultrices, toujours présentes peu importe l’époque, Julie Francoeur appelle à leur donner une voix et une place importante dans le développement d’un modèle agricole écologique, juste et équitable pour tous.tes.
«Il est où le patron?»
En s’inspirant de la bande dessinée Il est où le patron? Chroniques de paysannes de Maud Bénézit, Julie Francoeur explique que les femmes, en plus de faire le labeur dans les champs, effectuent constamment celles invisibles à la ferme, comme laver les vêtements de travail sales, faire la comptabilité, tenir les marchés et même offrir un soutien psychologique, contrairement aux hommes qui exécutent les «vraies» tâches agricoles.
Ces rôles sexués viennent «nier l’autonomie professionnelle des femmes», puisque «l’activité de travail des agricultrices est comprise, et organisée, comme si elle constituait une activité plus ou moins décisive en comparaison du travail masculin».
L’autrice ajoute que cette dynamique de genres est alimentée par une image défavorable du milieu agricole, souvent pointé du doigt comme un pollueur important. C’est les individus qui gèrent ces critiques, et surtout les femmes, puisque ces dernières doivent composer avec la détresse psychologique, parfois même le suicide, de leurs partenaires masculins, en plus de toutes les autres tâches.
C’est justement ce modèle productiviste, qui détruit des écosystèmes en plus d’invisibiliser les femmes ainsi que leur contribution, qui est critiqué par Julie Francoeur, qui affirme que «les systèmes agricoles qui ne respectent pas les animaux et la nature ne respectent pas plus les humains». Elle ajoute que le zonage au Québec et le pouvoir de l’Union des producteurs agricoles (UPA) nuisent au développement de la pluriactivité agricole et à la création de petites fermes qui n’ont pas pour objectifs l’exploitation et le profit, ce qui limite les options pour les femmes qui souhaitent être propriétaires.
Moins produire, mieux produire
Malgré ce contexte peu favorable à l’émancipation des femmes dans ce milieu, Julie Francoeur souligne qu’une conscience écologique a émergé en réaction aux effets négatifs du modèle agricole actuellement en vigueur. La volonté d’une croissance éternelle connaît ses limites, autant financières, qu’environnementales et sociales, et c’est en réponse à ces limites que les fermes non productivistes apparaissent.
«Ce discours voulant que l’agriculture [non productiviste] puisse non seulement minimiser son impact sur l’environnement, mais aussi y laisser une empreinte positive, met en évidence une sensibilité écologique qui confère [aux agricultrices] une véritable compétence à la ferme», explique l’autrice, en donnant en exemple Maude-Hélène Desroches, propriétaire des jardins de la Grelinette, une microferme maraîchère diversifiée connue internationalement pour ses pratiques agricoles.
Julie Francoeur n’est pas dupe, et rappelle que les femmes sont toujours limitées dans leur capacité à s’éloigner des attentes conventionnelles en agriculture. Elle demeure toutefois optimiste en voyant le nombre de femmes s’engager dans ce domaine.