Le ministre des Transports n’a pas les pouvoirs de conclure une entente avec Uber, et le projet pilote signé la semaine dernière est donc illégal, allègue le Front commun du taxi alors qu’il amorce ses démarches judiciaires.
Les représentants de l’industrie du taxi, accompagné de leur avocat, ont officiellement déposé leur injonction, jeudi après-midi, au Palais de justice de Montréal, demandant d’annuler l’entente convenue entre le gouvernement et Uber visant à encadrer les activités d’Uber dans la province. Plusieurs dizaines de chauffeurs de taxi étaient également présents, mécontents des négociations entre Québec et Uber.
L’injonction est faite au nom de dix regroupements et compagnies de taxi, dont le Regroupement des travailleurs autonomes Métallos, le Regroupement des propriétaires de taxi de Montréal et Taxi Coop.
Une première audience sur l’injonction provisoire demandant de suspendre le projet pilote, le temps de se pencher sur le fond de la question, aura lieu vendredi matin.
Le projet pilote n’oblige pas les chauffeurs Uber à se procurer un permis de chauffeurs de taxi – alors que c’est le cas pour les chauffeurs de l’industrie du taxi traditionnel – mais leur impose une redevance en fonction du nombre d’heures qu’ils font sur la route.
«Le gouvernement vient détruire le mécanisme de gestion de l’offre en permettant à ce qu’il y ait un nombre illimité de véhicules qui se retrouvent à un même moment sur le même territoire», a déploré Me Marc-Antoine Cloutier, associé chez Deveau Avocats, mandaté pour intenter ce recours par le Front commun du taxi.
L’avocat affirme que le ministre ne peut conclure des ententes qu’avec des détenteurs de permis d’intermédiaire (qui répartissent les appels), de permis de propriétaires de taxis ou avec des partenaires d’un des deux types de permis. «Or, Uber n’a pas de permis d’intermédiaire en ce moment. Nous, ce qu’on va alléger devant le tribunal, c’est que le ministre n’a pas le pouvoir, aussi discrétionnaire, que cela peut être de faire une entente avec Uber en ce moment. Et même s’il avait le droit, le projet pilote qu’il vient de conclure récrie la loi en parallèle pour complètement détruire la gestion de l’offre», explique-t-il.
Uber doit d’abord se procurer un permis d’intermédiaire de taxi avant de conclure une telle entente avec le gouvernement, fait valoir le Front commun. Me Cloutier ajoute toutefois qu’Uber aurait de la difficulté à s’en procurer un, puisqu’il doit d’abord démontrer qu’il a des ententes contractuelles avec des propriétaires de permis de taxi. Les chauffeurs de taxi comptent également s’opposer à l’obtention par Uber d’un permis d’intermédiaire auprès de la Commission des transports.
«L’action que nous posons démontre notre sérieux, notre engagement, a affirmé Georges Tannous, président du Comité provincial de concertation et de développement de l’industrie du taxi, jeudi, en mêlée de presse. Le Front commun démontre le vrai visage du gouvernement et celui d’Uber. Uber ne respecte pas le gouvernement et n’a pas fait l’effort de faire une demande de permis d’intermédiaire. C’est une preuve que le gouvernement n’a pas respecté les règles et que nous avons raison d’aller devant les tribunaux.»
Me Cloutier ajoute que l’entente est inéquitable. «Lors des débats parlementaires, le ministre des Transports avait promis qu’il n’y aurait pas de mesures dans une projet pilote qui ne serait pas disponible aux titulaires de permis de taxi. Or, Uber se voit autorisée à opérer sans être contraintes de respecter les mêmes règles que les titulaires desdits permis», déplore l’avocat. Il fait référence au fait que les permis de taxis contraints les chauffeurs de taxis à opérer dans une certaine zone seulement, et un nombre restreint de voitures peuvent être sur la route.
Plus tôt cette semaine, le Front commun a annoncé qu’en parallèle de leurs démarches judiciaires, un comité spécial se penchera sur les moyens de pression que l’industrie du taxi entreprendra. Aucun moyen de pression n’est exclu, disent-ils.
Extraits de la mise en demeure envoyée, par huissier, au ministre des Transports Laurent Lessard
«Malgré les propos rassurants tenus par vos prédécesseurs ainsi que par le Premier Ministre lui-même à l’effet que votre gouvernement verrait à protéger les droits et les intérêts de l’industrie du taxi, il semble que votre administration a cédé devant une multinationale qui n’a pourtant aucun respect pour les lois du Québec.»
«L’entente qui prévoit que 50 000 heures de transport sont mises à la disposition d’Uber pour lui permettre d’offrir des services de transports rémunéré de personnes par véhicule automobile, écarte complètement le principe fondamental de la Loi voulant qu’un permis soit attitré à chaque véhicule de taxi. Concrètement, ce qu’Uber est autorisé à faire, c’est de permettre à un nombre illimité de véhicules de circuler, sans aucune limite de territoire ni d’horaire, alors que l’objet et l’esprit de la Loi est d,encadrer l’offre de service de transport rémunéré de personnes. En effet, la banque de 50 000 heures travaillées imposées à Uber et ses chauffeurs n’est aucunement limitative et le dépassement de celle-ci n’aura d’autres conséquences qu’une redevance légèrement plus élevée, versée à un fond qui échappe complètement au contrôle de l’industrie.»
«Nos clients et leurs membres ne pourront jamais rentabiliser leur investissement et leur semaine de travail si les plages horaires les plus achalandées sont inondées par 1000 ou 2000 chauffeurs Uber à Laval, Longueuil, Montréal et Québec.»
«Nos client s’interrogent également à savoir qui rachèterai un permis de propriétaire de taxi à 200 000$ alors qu’il suffit désormais de télécharger une application mobile, se soumettre à quelques vérifications de base et verser seulement 20% de ses revenus à une multinationale étrangère pour accomplir le même travail sans avoir à se procurer le dit permis pour ce faire.»
«[Concernant les redevances versées par Uber], il faudra environ 20 ans avant que les sommes versées équivalent à la valeur actuelle [des permis de taxi]. C’est donc dire que vous permettez à Uber d’opérer sur la base de l’équivalent de 300 permis impayés, sans que ce nombre de permis ne soit lié à un nombre de véhicule dans une zone donnés, en compétition directe avec les titulaires de permis de propriétaires de taxi qui eux, doivent défrayer des centaines de milliers de dollars pour avoir le privilège de faire circuler un taxi dans une zone définie et limitée.»