Il y a cinq ans, les tentes du mouvement Occupy faisaient trembler le pouvoir avant d’être dispersées au vent, une fois l’hiver venu. À Montréal, plus de 3000 personnes ont occupé le square Victoria du 15 septembre au 25 novembre 2011. Que s’est-il passé en cinq ans sur le front des inégalités sociales et de la démocratie? Pas grand-chose de bon, mais cela ne signifie pas que le mouvement ait été inutile, clament les observateurs interrogés par Métro.
1. Inégalités
Si le mouvement Occupy n’a aucune revendication précise, il dénonce néanmoins l’accaparement des richesses par 1% de la population avec la complicité des gouvernements. Selon l’indice de Gini, mesurant les inégalités économiques, le fossé entre riches et pauvres a continué à croître au Canada et dans les pays de l’OCDE depuis 2011. Aux États-Unis, le 1% des mieux nantis possédait, en 2015, 22% de la richesse, rattrapant ainsi le terrain perdu depuis la crise financière de 2008. «Wall Street a causé la crise et s’en est tiré sans encombre parce qu’Obama n’a pas eu le courage de sévir», déplore Kalle Lasn, éditeur d’Adbusters, le magazine qui se décrit comme l’étincelle qui a lancé le mouvement.
Selon Marcos Ancelovici, titulaire de la Chaire de recherche en sociologie des conflits sociaux de l’UQAM, «les grandes entreprises sont aussi responsables de l’augmentation des inégalités sociales, car elles contournent l’impôt sur le revenu en rémunérant certains de leurs employés au moyen de stock-options, de bonus et de dividendes. Cela a ensuite pour corollaire de compromettre certains programmes sociaux et d’augmenter les inégalités». Les gouvernements devraient absolument revoir la fiscalité en conséquence, selon lui.
2. Démocratie
Le mouvement Occupy représentait aussi une critique du modèle démocratique néolibéral. «Les participants au mouvement reprochaient à ce modèle de laisser peu de place à la participation populaire, que ce soit en diluant la diversité politique ou en réprimant les manifestations par un usage abusif des lois et de la police, résume Christian Nadeau, de la Ligue des droits et libertés. Il cite notamment le règlement P-6 de la Ville de Montréal – visant à réglementer les manifestations –, les arrestations de masse et l’espionnage des journalistes qui ont eu un «effet réfrigérant»
«Heureusement, à long terme, on est arrivé à renverser nombre d’outils utilisés pour faire du profilage politique. Mais ça ne veut pas dire que ça ne se reproduira pas, car c’est dur d’obtenir un jugement rapidement», conclut-il en donnant l’exemple de l’ancien porte-parole du mouvement étudiant Gabriel Nadeau Dubois, qui a mis cinq ans pour obtenir gain de cause en cour. Selon la Ligue, il faudra notamment créer un mécanisme indépendant de contrôle des activités policières afin d’éviter certaines dérives récentes.
3. Durabilité
Même si Occupons Montréal a remballé ses tentes, sa page Facebook continue de se faire l’écho des causes féministes, autochtones et environnementales. Comment a évolué la situation sur ces trois fronts? En 2016, le salaire médian des Canadiennes reste de 18,6% inférieur à celui des hommes (-19,2% en 2011), même si les femmes sont plus éduquées. Signe que ces dernières n’ont toujours pas brisé le plafond de verre, elles ne représentent que 12% des chefs d’État et de gouvernement de la planète et 21,8% des parlementaires, selon le portrait établi par l’association française Adéquations.
Côté environnemental, pas de quoi se péter les bretelles non plus. «Malgré ses beaux discours, le gouvernement du Québec échoue au test des engagements en matière de protection du climat et de la biodiversité. Un sérieux coup de barre est requis», affirme Patrick Bonin, de Greenpeace Canada. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) au Québec ont augmenté de 300 000 tonnes de 2010 à 2014, alors qu’elles auraient dû diminuer. Et les Québécois? En 2015, ils ont acheté plus de camions légers (SUV, mini-fourgonnettes et pick-up) que de voitures. Si tout le monde sur la planète consommait comme un Canadien, il faudrait 4,7 planètes.
Quant à la cause autochtone, elle reste peu entendue, malgré les rapports de l’ONU. De 2011 à 2016, le taux d’emploi chez les personnes autochtones du Québec a baissé d’un point de pourcentage, le taux d’insécurité alimentaire a grimpé à 18% et le taux d’incarcération est désormais de 4,8% (+0,4% en cinq ans), alors que les Autochtones ne représentent que 1,2% de la population du Québec. Tout n’est pas sombre pour autant. «Quand les cultures autochtones sont enseignées à l’école, on note un taux de suicide largement moins élevé dans les communautés», souligne la militante crie Maïté Labrecque-Saganash en citant une étude du psychologue Michael Chandler, de l’université de Colombie-Britannique.
4. Leçons
Tous les observateurs interrogés s’entendent: le mouvement Occupy n’a pas été un échec, même si les problématiques restent les mêmes. «Occupy a créé un climat plus favorable à la mobilisation», affirme Marcos Ancelovici, qui a étudié le profil de 70 participants. «Pour les gens qui se sont investis dans le mouvement [200 actifs et près de 3000 occasionnels], ça a été une expérience de participation démocratique exceptionnelle où ils ont débattu et appris à prendre la parole en public et à s’organiser collectivement. Chez plusieurs, ça a certainement jeté les bases de leur implication militante future», ajoute-t-il.
D’un point de vue global, Christian Nadeau souligne que ce genre de mouvement ponctuel et spectaculaire est utile pour attirer de nouveau l’attention des médias sur une problématique. «Actuellement, les groupes sociaux utilisent une énergie considérable pour survivre financièrement, ce qui les empêche de jouer leur rôle de contre-pouvoir. Les mouvements sociaux québécois doivent apprendre à éviter les silos», selon lui. De son côté, Kalle Lasn pense que la planète court vers le précipice climatique, mais il attend l’inévitable révolution globale des peuples. «Le Québec est un bel exemple à suivre en matière d’activisme et j’espère que le monde s’inspirera de vous», conclut-il.