En 2009, la réélection du président iranien Mahmoud Ahmadinejad provoque un soulèvement populaire, baptisé le «mouvement vert». Le photographe montréalais Aydin Matlabi est de passage dans son Iran natal lorsque le peuple descend dans la rue. Il se mêle aux manifestations et documente l’événement. Ses photos forment l’exposition Paysage, révolution, peuple, qui s’ouvre mercredi au Musée des beaux-arts de Montréal.
Comment vous êtes-vous retrouvé au cœur du mouvement de contestation contre Mahmoud Ahmadinejad?
Je voyageais en Iran depuis 2006 pour mes études en photo. À la base, c’était pour une thèse sur l’idéologie sexuelle dans un pays islamique. Le projet n’avait rien à voir avec la politique. Mais tout à coup, le mouvement vert a commencé. En arrivant en Iran, je me suis vraiment attaché aux gens que je photographiais. Puis, ces mêmes gens se sont retrouvés impliqués dans le soulèvement. J’y ai donc moi aussi participé. Après avoir vu la brutalité de la répression, je devais absolument marcher avec eux.
Dès le début, vous avez senti le devoir de raconter ce qui se passait?
J’assistais à un événement historique. Comment aurais-je pu oser dire aux miens que j’étais là à ce moment, mais sans m’impliquer? J’étais un des seuls photographes extérieurs sur place. Plusieurs photographes ou journalistes se sauvaient de peur de se faire arrêter. Par respect pour les gens, je voulais rester jusqu’à la fin. Mais à un certain moment, les autorités m’ont fait comprendre que je devais sortir du pays le plus vite possible. Si j’étais resté, ça aurait été à mes risques et périls.
Vous êtes né en Iran, mais vous vivez depuis longtemps au Canada. Considérez-vous que, dans vos photos, vous avez le regard d’un étranger?
On peut insister autant qu’on veut sur le fait que je suis Iranien, mais ça fait 25 ans que j’habite ici. Là-bas, je suis un étranger. Ça se voit dans la façon dont je parle et la façon dont je suis habillé. Ces photos ne représentent donc pas la vision d’un Iranien, elles sont MA vision de l’Iran. Je suis énormément attaché à mon peuple, mais je suis Canadien plus qu’Iranien.
Dans l’exposition, on découvre des visages et des paysages, pas seulement des images de rébellion…
Je voulais éviter de poser un regard trop politisé et montrer plutôt la cohabitation de deux Iran. D’un côté, il y a une certaine noirceur et une froideur. De l’autre, il y a la chaleur et la délicatesse des visages, des paysages. La réalité se trouve entre les deux. Partout où j’allais, c’était fascinant de voir comment la noirceur n’arrivait pas à effacer la beauté.
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Plusieurs photos de femmes, notamment, vont à l’encontre des stéréotypes souvent associés à l’islam. Les gens qui défient l’idéologie dominante sont-ils mal perçus?
Ça dépend où. Mes portraits ont soit été pris dans un endroit fermé où les gens, une fois cachés, se sentaient plus à l’aise, soit dans des villes plus ouvertes d’esprit ou plus riches, comme Téhéran. Mais peu importe l’endroit, la situation des Iraniens varie constamment. Après la révolution de 2009, les gens avaient tellement peur qu’ils ne portaient plus de couleurs. Tout était noir.
Comment expliquez-vous que le peuple iranien ne se soit pas révolté l’an dernier, dans la foulée du printemps arabe? Pourquoi n’y a-t-il pas eu de printemps perse?
Parce que les gens ont encore des choses à perdre. Quand tu n’as rien à perdre, tu es prêt à mourir. Mais les gens en Iran ont encore leur famille, leur travail. Le début des révolutions a varié d’un pays à l’autre. En Égypte, il n’y avait plus d’espoir. En Syrie, encore moins. Les Iraniens avaient espoir en la démocratie quand ils ont pris la rue en 2009. Mais la démocratie va toujours perdre contre la torture et la violence.
Êtes-vous retourné en Iran depuis?
Je n’en ai pas le droit. Je crois même qu’il y a un prix sur ma tête. Je ne prendrai donc pas le risque d’y retourner… J’ai même peur d’appeler les gens que je connais là-bas. Je ne veux pas les mettre en danger.
De nouvelles élections auront lieu en 2013. Croyez-vous qu’un changement est possible?
Avant les dernières élections, l’appui à Mousavi [l’adversaire d’Ahmadinejad] était à 75 %. Mais il a quand même perdu les élections. Les gens n’ont rien compris; c’était une vraie farce. Beaucoup de gens ont voté pour la première fois de leur vie en 2009 parce qu’ils croyaient au changement. Cette fois, c’est différent. Je crois que la majorité des gens n’iront pas voter.
Qu’est-ce que les visiteurs devraient retenir de votre exposition?
Qu’il y a toujours de l’espoir. Le régime va changer et je retournerai en Iran un jour, c’est certain. Un régime islamique, aussi puissant soit-il, ne pourra jamais écraser l’espoir de ses enfants. C’est ce que je souhaite : que la jeune génération, au moins, ait une vie libre.
Paysage, révolution, peuple
Musée des beaux-arts de Montréal
Jusqu’au 17 mars 2013