Sept organismes de défense des droits somment Québec d’octroyer une aide financière «immédiate» aux proches de Pierre Coriolan, décédé en juin 2017 lors d’une intervention du SPVM, afin de payer les honoraires de leurs avocats dans le cadre de l’enquête du coroner. Celle-ci débutera le 17 février au palais de justice de Montréal.
Les deux sœurs et les deux filles de M. Coriolan ont récemment obtenu le statut de «personne intéressée» dans l’enquête.
«Or, les membres de la famille n’ont pas les moyens de s’assurer une telle représentation, qui est pourtant essentielle dans un processus de recherche de la vérité», a plaidé jeudi la coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés (LDL), Eve-Marie Lacasse. Une demande d’aide a été envoyée au ministère de la Sécurité publique en octobre dernier. Les avocats de la famille, qui travaillent «pro bono» pour l’instant, n’ont reçu une réponse que cette semaine.
«On nous dit que quelqu’un a le dossier entre les mains, sans plus, alors que c’est dans trois semaines. La situation doit se régler rapidement.» -Eve-Marie Lacasse, coordonnatrice à la LDL
Pierre Coriolan, un homme noir de 58 ans, a été abattu par des policiers dans Ville-Marie en juin 2017. Il était en détresse et venait d’être expulsé de son logement. Six agents ont pris part à l’intervention. Si le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a confirmé en mars qu’il ne déposerait aucune accusation, la famille du défunt affirme que les policiers ont utilisé «une force abusive». Les autorités soutiennent que M. Coriolan tenait un couteau et un tournevis dans ses mains au moment des faits.
Une poursuite avait d’ailleurs été déposée en février 2018 contre la Ville de Montréal. Appelée à réagir, celle-ci indique qu’elle «collaborera à l’enquête», mais qu’«en raison de la judiciarisation du dossier», aucun autre commentaire ne sera émis. Le SPVM, lui, promet d’être un «acteur attentif» lors de l’enquête du coroner, mais s’abstient de toute autre déclaration pour «ne pas nuire aux travaux».
«Énorme disproportion»
Pour Me Alain Arsenault, avocat de la famille Coriolan, l’inaction du gouvernement dans ce dossier est inquiétante. «Chaque policier aura son avocat personnel, et sera aidé par des avocats de la Fraternité et de la Ville. Lorsqu’on compare avec les ressources de la famille, il y a une disproportion énorme», souligne-t-il.
«Comme dans toutes les enquêtes du coroner, l’un des objectifs des avocats de la police sera de dénigrer la victime pour trouver une justification de leur intervention.» -Me Alain Arsenault
L’affaire n’est pas sans rappeler celle de Fredy Villanueva, un jeune homme de 18 ans abattu par le SPVM dans Montréal-Nord en août 2008. «Le ministère avait accepté de défrayer six avocats pour représenter la famille et les jeunes témoins. On se retrouve exactement dans la même situation ici», note-t-il.
Sa collègue Me Virginie Dufresne-Lemire, qui représente aussi la famille, abonde dans le même sens.
«L’enquête du coroner est essentielle pour éviter que ça ne se reproduise, soutient-elle. Il faut trouver une façon de changer les mentalités des policiers, pour qu’ils agissent comme des intervenants plutôt que comme Robocop», lâche-t-elle.
Québec toujours «en analyse»
Joint par Métro, l’attachée de presse au ministère de la Sécurité publique, Amélie Paquet, affirme que la demande d’aide financière «est en analyse».
«Le dossier est toujours devant les tribunaux, donc nous ne ferons pas d’autres commentaires», tonne-t-elle.
Un cadre légal à faire valoir
Sur place, le porte-parole de la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP), Alexandre Popovic, a affirmé que l’État «n’a plus d’excuses». Adopté il y a près de sept ans, le projet de loi 12 permet aujourd’hui au coroner en chef d’accorder une aide financière à des membres de la famille d’une personne décédée.
«C’était censé corriger une injustice, plaide-t-il. On est là pour rafraîchir la mémoire du législateur québécois. Ça fait sept ans qu’on attend qu’il finisse sa job.»
D’après lui, le gouvernement provincial oublie «trop facilement les proches des victimes de bavures policières». «Quand c’est l’État qui tue, c’est l’État qui devrait payer», tranche M. Popovic.