Montréal

Parce qu’il y a aussi la joie

Dalila Awada

Les rires, la danse et la lumière qui apparaissent dans les images de Joie Noire MTL ne sont pas simulés. L’été dernier, il y avait quelque chose de magique durant le pique-nique organisé par Claire-Anse Saint-Éloi et Diane Gistal, les fondatrices de ce projet visuel.

Dans le monde qu’elles rêvent, la joie des femmes noires abonde, prend de l’expansion et se manifeste avec éclat. « Le système dans lequel on vit confisque des moments de bonheur. Nous sommes sans cesse renvoyées à nos luttes, nos épreuves, nos douleurs », expliquent-elles lors de notre discussion. Quelques semaines auparavant, la beauté des photos publiées sur leur page Instagram m’avait éblouie.

Tout au long de la pandémie, période déjà éprouvante, plusieurs épisodes de violence envers des personnes noires se sont produits. « On ne veut pas être captives d’une actualité pesante », dit Diane.

Elles eurent l’idée d’organiser cet évènement au parc durant lequel les photos ont été prises. Vêtues de tons ambrés, dorés, orangés, les femmes ont partagé un moment de répit : « Une flamboyance pour refléter leur lumière, être vues », dit Claire-Anse. « Et ça a bien marché, tous les regards se tournaient !»

À travers cette première série de photos de Manoucheka Lachérie, elles se donnent comme horizon de contrebalancer les représentations dures et tragiques, omniprésentes, des communautés noires. Diane explique à ce sujet qu’il ne faut pas sous-estimer le pouvoir des représentations et des images sur le psyché et la santé mentale, « on veut investir les imaginaires. »

Une autre de leurs motivations était de créer un équilibre entre lutte et quiétude. Les co-fondatrices racontent qu’elles ont longtemps été absorbées par des batailles fondamentales à mener contre le racisme, mais que l’épuisement guette quand il n’y a que ça. Avec Black Joy MTL, elles se réapproprient leur temps et leur récit.

Elles s’inspirent des propos-phares de la romancière et prix Nobel de littérature Toni Morrison : « The function, the very serious function of racism is distraction. It keeps you from doing your work. It keeps you explaining, over and over again, your reason for being […] »

Le racisme a en effet cette capacité de dérober du temps et de l’énergie qui pourraient être consacrés à nos passions, nos loisirs, nos relations. Il incite à la justification incessante. En prendre conscience permet alors de ne pas laisser d’autres que soi tenir les rênes de notre quotidien et nous imposer un agenda.

Diane l’exprime sans détour : « À force d’investir autant de temps à réagir contre le racisme, j’en oubliais mes propres besoins, mes propres rêves. Aujourd’hui, je ne laisse plus filer une occasion d’être heureuse. C’est aussi un acte politique. Je résiste en faisant front par ma joie », Claire-Anse renchérit : « J’en suis à une étape de ma vie où je ne veux plus me justifier. Après tout, Noire n’est pas mon métier. »

Claire-Anse précise que « ce n’est pas un positivisme qui occulte les douleurs. On cherche plutôt un équilibre dans lequel il est possible de voir autre chose que la souffrance, les corps meurtris, les injustices et la colère. On veut créer des évènements qui cultivent la joie et dans lesquels les communautés noires se retrouvent pour…simplement vivre ! C’est aussi comme ça qu’on résiste aux structures qui oppriment. »

Elles concoctent maintenant un évènement en collaboration avec le Musée des beaux-arts de Montréal. Les talents d’artistes afro-descendantes, comme Anna Binta Diallo, seront au rendez-vous.

L’esprit du mouvement est ici résumé avec force et éloquence : « La JOIE NOIRE, c’est la résistance, la JOIE NOIRE, c’est le pouvoir, la JOIE NOIRE, c’est la libération ! »

La joie sans compromis comme une autre façon d’habiter le monde.

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