Plus de 1000 débardeurs du port de Montréal ont déclenché une grève générale illimitée, lundi matin. Bien que le gouvernement du Canada déposera un projet de loi pour forcer le retour au travail, l’administration portuaire déplore une situation qui aura des impacts importants et concrets sur l’ensemble des activités du port.
Depuis le 18 avril, le syndicat des débardeurs était déjà en grève partielle les fins de semaine. Il affirme cependant que l’Association des employeurs maritimes (AEM) ne veut pas retourner aux tables de négociation et que l’employeur utilise des moyens de pression. Devant cette situation, le syndicat a déclenché un arrêt complet et illimité des opérations portuaires.
Alors que les parties étaient toujours en négociation, l’AEM a annoncé jeudi dernier qu’elle apportera des changements aux horaires de travail des débardeurs à compter de lundi.
Rappelons que ces salariés sont sans convention collective depuis décembre 2018. Selon la partie syndicale, les discussions avec l’employeur achoppent en ce qui a trait aux horaires et à la conciliation travail-vie personnelle.
«C’est la deuxième fois en une semaine que l’AEM modifie les conditions de travail des débardeurs. Ainsi, l’AEM envenime le conflit au lieu de le régler», a déclaré le syndicat SCFP 375, affilié au Syndicat canadien de la fonction publique, dans un communiqué publié vendredi dernier.
Selon le porte-parole syndicat SCFP 375, Michel Murray, l’employeur aurait pu éviter la grève en levant les moyens de pression. «Pas de grève de temps supplémentaire. Pas de grève les fins de semaine. C’est pourtant simple. Nous voulons un retour à la table de négociation», a-t-il ajouté.
De son côté, l’AEM s’est dite déçue de la décision du syndicat et est en train de revoir ses options.
Des impacts importants, selon l’Administration portuaire
Selon l’Administration portuaire de Montréal (APM), la grève générale illimitée déclenchée lundi matin mettra à l’arrêt pour une durée indéterminée une infrastructure publique qui est au service de millions de Québécois et de Canadiens.
En effet, elle entraînera la cessation complète de la manutention des marchandises et des services d’amarrage ordinairement fournis par les débardeurs dans les terminaux du port de Montréal. Les clients du port doivent s’attendre à des délais dans la livraison de leurs marchandises pour les prochains jours, voire les prochaines semaines.
Les services essentiels pour Terre-Neuve-et-Labrador, les services du grain, ainsi que tous les conteneurs liés à la gestion de la pandémie seraient quant à eux maintenus.
«Ce nouvel arrêt de travail est un frein au rôle-clé que jouent les opérations portuaires dans la relance économique et entraînera des impacts importants et très concrets pour la population et les PME d’ici», a déclaré le président-directeur général de l’Administration portuaire de Montréal, Martin Imbleau.
À titre d’exemple, il cite des matières premières destinées aux usines, des ordinateurs pour le télétravail et des fruits exotiques frais qui n’arrivent plus sur les quais du port, ainsi que du sirop d’érable et du porc des producteurs québécois qui ne peuvent plus être distribués ailleurs dans le monde.
«Il est donc urgent d’en venir à une entente entre les deux parties», ajoute M. Imbleau.
Pertes évaluées à des millions de dollars chaque jour
L’administration portuaire évalue à 275 M$ la valeur des biens qui y circulent chaque jour, allant des produits agroalimentaires aux produits pharmaceutiques, en passant par des matériaux de construction et des produits phares exportés par des entreprises d’ici.
D’ailleurs, une récente étude économique estime qu’une interruption des activités portuaires représente une perte de 10 M$ à 25 M$ par jour pour l’économie.
Le gouvernement fédéral a émis un préavis selon lequel il déposerait une loi de retour au travail dans les prochains jours si un accord n’était pas conclu, a laissé savoir la ministre fédérale du Travail, Filomena Tassi, dimanche.
«On voit des petites entreprises souffrir parce qu’elles ne reçoivent pas leurs denrées. On voit des compagnies décider de passer leurs commandes par d’autres ports comme Boston, car Montréal n’est pas fiable dans leur perspective», a affirmé le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, lors de l’émission Tout le monde en parle, dimanche soir.
Un conflit qui perdure depuis des mois
Le conflit de travail qui perdure depuis des mois a déjà des impacts concrets, notamment avec le détournement de certains navires vers des ports concurrents par les lignes maritimes.
Après un seul week-end de grève, près de 10 000 conteneurs sont restés cloués au sol, provoquant une accumulation et des délais au niveau des convois ferroviaires. Les lignes maritimes qui ont des navires en route vers Montréal sont obligées de revoir leur logistique, déplore l’administration portuaire.
L’été dernier, 19 jours de grève en tout ont entraîné des impacts importants pour l’économie, alors que 20 navires ont dû être détournés. «Au total, 80 000 conteneurs remplis de marchandise que nous consommons au quotidien ont été acheminés vers des ports concurrents ou encore ont été cloués au sol»,
Selon la grappe industrielle en transport et logistique CargoM, plus de 6 300 entreprises du Grand Montréal en transport et logistique qui supportent les opérations portuaires sont aussi touchées directement par une grève au Port.
Le milieu économique a quant à lui déjà exprimé ses inquiétudes alors qu’il appréhende «des conséquences désastreuses» sur l’économie.
Le ministre de l’Économie du Québec inquiet
Questionné par les journalistes, le ministre québécois de l’Économie et de l’Innovation du Québec, Pierre Fitzgibbon, est inquiet des impacts de cette grève. «Je l’ai dit à la première grève au printemps dernier que ce serait un désastre économique pour nos PME. Pas juste au Québec, mais en Ontario aussi», a-t-il déclaré.
Si les parties n’en viennent pas à une entente, le ministre est d’avis qu’il faudra imposer loi spéciale pour le retour au travail des débardeurs. M. Fitzgibbon a d’ailleurs fait parvenir une lettre à la ministre fédérale du Travail, Filomena Tassi, dans laquelle il demande à Ottawa de «n’exclure aucune option afin de régler le conflit, et ce, dans les plus brefs délais».
Cependant, Pierre Fitzgibbon reste confiant que le conflit de travail ne met pas en péril le démarrage du projet de terminal de conteneurs à Contrecoeur. «Je suis convaincu que les deux parties vont s’entendre à un moment donné et qu’on va recommencer comme nous étions. Montréal est un port de destination qui est important pour le Québec et le Canada», a-t-il ajouté.
-En collaboration avec François Carabin