Ariane Brunet a eu de la chance dans sa malchance, ce vendredi soir où elle a été droguée à son insu, probablement au GHB, dans un bar de Montréal: ses amis l’ont rapidement amenée à l’hôpital. Comparée à d’autres, elle a été chanceuse.
Et pourtant.
Même si ses amis, en voyant l’état soudain et brutal d’inertie dans lequel elle était, ont tout de suite pensé qu’elle avait été droguée, même s’ils l’ont dit aux premiers répondants, même si elle s’est retrouvée à l’urgence à peine deux ou trois heures après le moment présumé de l’intoxication, même si elle pense savoir qui l’a droguée… Il n’a pas été possible pour elle d’obtenir la preuve du crime, soit une analyse de son sang ou de son urine.
À l’hôpital de Verdun où l’ambulance l’a conduite, on lui a répondu ne pas être en mesure de procéder à des tests permettant de détecter le GHB dans le sang.
Quand je me suis réveillée à l’hôpital, c’est la première chose que j’ai demandé de me faire tester.
Ariane Brunet
Contacté par Métro, le CIUSSS du Centre-Sud de Montréal confirme que l’hôpital de Verdun ne dispose pas du matériel nécessaire à ces analyses.
Au ministère de la Santé et des Services sociaux, on répond que selon le protocole d’intervention auprès d’une victime d’agression sexuelle, «la directive est d’effectuer les prélèvements de sang et d’urine rapidement lorsqu’il y a possibilité qu’il y ait eu ingestion de drogues ou alcool». On répond aussi, toutefois, que «le dépistage du GHB est fait uniquement dans certains laboratoires spécialisés».
Si elle avait eu cette information le soir du crime, fait valoir la chanteuse (L’Isle, de son nom d’artiste), son amoureux l’aurait conduite à un de ces centres.
L’un des enjeux de la détection du GHB est sa courte durée de vie (6h dans le sang et 10-12h dans l’urine).
«Comment ça se fait que tous les hôpitaux de Montréal n’ont pas le matériel pour faire ces analyses?», se demande-t-elle. «On est un pays super développé! Et ce qui me choque le plus, c’est qu’on est super progressif sur le plan de l’équité homme-femme, mais ça, c’est vraiment un truc qui nous échappe.»
La chanteuse de 31 ans dit s’être senti «ultra trahie» quand elle n’a obtenu aucune réponse à sa demande d’être testée.
Ça participe à tout ce problème-là, toute cette gangrène-là du système de réponse aux abus sexuels. C’est vraiment révoltant.
Ariane Brunet
«Je me suis fait voler des heures»
Ariane Brunet a aussi été chanceuse dans sa malchance parce qu’elle n’a pas subi «d’abus supplémentaires» ce soir-là, contrairement à d’autres femmes qui lui ont parlé de leur intoxication au GHB en réponse à son témoignage.
Elle se demande ce qui est arrivé à son 100$ qu’elle avait sur elle ce soir-là. Elle ne sait pas si on l’a volé ou si elle l’a dépensé. Ce qu’elle sait s’être fait voler, par contre, ce sont des heures de sa vie. «On s’entend: une fin de semaine complète à m’en remettre, à ne rien pouvoir faire… Mais cette soirée-là, je ne m’en rappelle pas pantoute. C’est fucked up. Qu’est-ce qui s’est passé? J’en ai aucune idée. Je ne m’en rappellerai jamais.»
La chanteuse a fait sa déposition à la police jeudi. Elle dit avoir été très bien accueillie au poste. Ce sont les policiers eux-mêmes qui l’ont contactée après avoir vu son histoire dans les médias.
L’enquête est donc ouverte, et Ariane Brunet aura à sa défense le témoignage des personnes qui étaient là le soir où on l’a droguée. Mais elle n’aura jamais la preuve que du GHB circulait dans son sang.