VAL-D’OR, Qc — Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a confirmé vendredi qu’aucune accusation ne sera portée contre les six policiers visés par des plaintes de violence et d’agressions sexuelles dont affirment avoir été victimes une quarantaine de femmes autochtones à Val-d’Or.
Le directeur adjoint du DPCP, Alexandre Dalmau, a expliqué en conférence de presse qu’après l’analyse de 37 dossiers, des accusations criminelles ne seraient portées que pour deux d’entre eux, qui mettent en cause deux policiers à la retraite de Schefferville, Alain Juneau, de la Sûreté du Québec, et Jean-Luc Vollant, de la police autochtone. Les faits allégués dans ces deux dossiers remontent aux années 1980 et 1990.
Les six policiers de la Sûreté du Québec à Val-d’Or suspendus à la suite d’allégations rendues publiques l’an dernier ne seront donc pas accusés.
De nombreux membres des communautés autochtone et allochtone de Val-d’Or manifestaient pacifiquement pendant l’annonce du DPCP.
Sur son site web, la SQ a «pris acte» des conclusions du DPCP et dit qu’elle entendait collaborer pleinement avec la Commission d’enquête fédérale sur les femmes autochtones
«La Sûreté du Québec s’engage à dévoiler prochainement des nouvelles initiatives qui permettront de rehausser le climat de confiance avec les communautés autochtones tout en assurant de maintenir un environnement favorable à la réalisation des interventions policières», est-il indiqué.
L’Association des policières et policiers provinciaux du Québec a pour sa part accueilli «sans grande surprise» la décision des procureurs, dénonçant ce qu’elle qualifie de «manque de rigueur» des médias dans ce dossier.
«Le moins que l’on puisse dire, selon l’expression consacrée, c’est que « la montagne a visiblement accouché d’une souris »» a déclaré le président de l’association, Pierre Veilleux.
Les intervenants du DPCP présents à la conférence de presse ont insisté sur le fait que l’absence d’accusation ne signifiait aucunement que les allégations n’étaient pas fondées, mais bien que les preuves n’étaient pas suffisantes pour porter des accusations criminelles. Le rôle du DPCP n’est pas, a-t-on martelé, d’exposer des problèmes généraux et systémiques au sein de la force policière.
«Il ne faut pas prétendre que dans notre analyse, nous choisissons une version plus qu’une autre. Nous n’avons pas choisi la version des policiers visés, au détriment de la version des plaignantes et des plaignants. Notre fardeau est de prouver hors de tout doute raisonnable la commission d’une infraction et que l’accusé en est l’auteur», a assuré l’une des procureurs impliqués dans l’analyse des dossiers, Nadine Haviernick.
«Le fait qu’aucune accusation criminelle ne soit portée dans certains dossiers ne doit pas vous décourager de porter plainte si vous avez été victime d’un acte criminel. Au contraire, porter plainte est la première étape pour que la personne qui a commis l’infraction soit éventuellement jugée devant les tribunaux», a-t-elle ajouté.
Un autre procureur présent, Mathieu Locas, a précisé que dans dix cas étudiés, les faits allégués ne démontraient pas la commission d’un acte criminel ou étaient plutôt considérés comme des fautes civiles ou déontologiques. Dans un cas, aucune accusation n’a été portée parce que le suspect est décédé, tandis que dans trois autres, les allégations avaient été faites par une tierce personne et avaient été niées par la présumée victime. Dans plusieurs cas, la preuve d’identification était insuffisante pour porter des accusations criminelles.
Les intervenants du DPCP ont rencontré la majorité des plaignants — 21 femmes et sept hommes — cette semaine, pour leur faire part des décisions.
Les 37 dossiers faisaient partie d’une première phase de l’enquête menée par le Service de police de la ville de Montréal au sujet des allégations. Les dossiers de la deuxième phase seront évalués au cours des prochaines semaines.
«On ne doit pas se laisser abattre»
Plus tôt en avant-midi, vendredi, le maire de Val-d’Or, Pierre Corbeil, avait déclaré qu’il ne fallait pas se laisser abattre «devant l’adversité et la déception» causée par la décision du DPCP de ne pas porter d’accusations contre les six policiers.
M. Corbeil avait tenu à rappeler de nouveau sa demande d’enquête indépendante pour examiner les dimensions sous-jacentes de la discrimination et du racisme dans ce dossier, une requête appuyée par le rapport de l’observatrice civile indépendante Fannie Lafontaine, chargée d’examiner le travail du Service de police de la ville de Montréal dans l’enquête sur les allégations. Me Lafontaine relève notamment, dans son rapport, l’existence d’un racisme systémique et de pratiques discriminatoires au sein des forces de l’ordre.
Cette demande d’enquête sur la relation entre les femmes autochtones et les policiers a reçu plusieurs échos, à la suite de la conférence de presse du DPCP.
«La police a enquêté sur la police. Nous avons pourtant réclamé à de nombreuses reprises que le gouvernement mandate le Bureau des enquêtes indépendantes afin qu’il mène l’enquête. Malheureusement, le gouvernement libéral a refusé de donner suite à notre demande. Le résultat, c’est que les femmes autochtones n’ont plus confiance dans le système de justice. C’est grave!», a déploré le porte-parole du Parti québécois en matière de sécurité publique, Pascal Bérubé.
Le Conseil du statut de la femme souhaite aussi la tenue d’une enquête indépendante et estime que le gouvernement a la responsabilité de ramener la paix sociale.
«Les femmes ont peur et nous ne pouvons les laisser tomber», a indiqué la présidente du Conseil, Eva Ottawa, par communiqué.
«Si le système judiciaire s’avère incapable de rendre justice à ces femmes autochtones, il appartient désormais à la société et au monde politique de le faire. Il faut, entre autres, s’attaquer au racisme systémique qui sévit dans les institutions publiques», a quant à elle indiqué la présidente du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec, Christine Jean.
Se disant «déçue» du rapport présenté par le DPCP, l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador a déclaré que le gouvernement du Québec devait faire face à la réalité qu’ont dénoncée les femmes autochtones qui vivent au quotidien le racisme et la discrimination systémique.
«Il est extrêmement troublant et inconcevable de constater que le gouvernement Couillard en doute», a indiqué l’organisme par communiqué.
L’Association des policières et policiers provinciaux du Québec a pour sa part dit souhaiter que Québec «ne cédera pas encore une fois sous la pression et n’ira pas jusqu’à établir une commission d’enquête».
«Il faut que cesse la vindicte populaire alimentée par certains médias qui prétendent qu’à cause des résultats de l’analyse du DPCP, de nouvelles enquêtes sont nécessaires parce que celles qui ont été effectuées jusqu’à maintenant ne sont pas impartiales, relevant avant tout de la démagogie et de l’opportunisme politique», juge l’association.
Le gouvernement libéral provincial n’a pas souhaité commenter les décisions du DPCP et la possibilité de mettre en place une enquête indépendante n’a pas été évoquée.
Par communiqué, le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, a indiqué qu’il réitérait la proposition de Québec de «créer une table de travail sur la qualité des relations entre les corps de police et les Autochtones du Québec».
Le gouvernement a ajouté qu’il entendait mettre de l’avant «certaines des recommandations» de l’observatrice indépendante Fannie Lafontaine et a souligné que des travaux étaient également en cours pour mener des consultations sur la question du racisme et de la discrimination, notamment envers les communautés autochtones.
Les commissaires de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont pour leur part indiqué qu’ils continueraient de surveiller la situation à Val-d’Or.
«La situation à Val-d’Or est exactement le genre de situation qui sera examinée dans le cadre de l’Enquête nationale. Les services de police constituent un service gouvernemental essentiel qui relève du mandat de l’Enquête», ont-ils souligné.
Le maire Pierre Corbeil a aussi dit souhaiter que les autorités compétentes assurent une «aide immédiate et urgente» aux femmes autochtones des milieux urbains et dans les communautés. Il a aussi indiqué que la Ville de Val-d’Or travaillait présentement à élaborer un plan d’action qui sera déposé en décembre prochain afin d’agir sur «ce fléau social» qu’est le racisme et la discrimination.
M. Corbeil a aussi lancé un appel au calme, félicitant la communauté pour être restée calme dans l’adversité et l’encourageant à demeurer patiente.