Depuis qu’une commission sur le racisme systémique est revendiquée, et la question semble encore plus délicate depuis l’attentat de dimanche soir, il s’en trouve plusieurs pour s’offusquer qu’on veuille se pencher sur la question. Durant la campagne à la chefferie du Parti québécois, Martine Ouellet affirmait que mettre sur pied une telle commission équivalait à «faire le procès de tous les Québécois». Cette semaine, Jean-François Lisée, admettant que les politiciens devaient changer de ton lorsqu’il est question d’enjeux identitaires, mettait sur un pied d’égalité ses propos malheureux au sujet des djihadistes qui pouvaient se cacher sous des burqas et le fait que Manon Massé dénonce l’islamophobie et le racisme systémique présents au Québec.
Ce refus d’admettre qu’il existe du racisme systémique au Québec est difficilement compréhensible. Les gens confondraient-ils les qualificatifs «systémique» et «systématique»? Ne s’agirait-il que d’un grand malentendu sémantico-grammatical? Affirmer qu’il y a du racisme systémique au Québec ne signifie pas que tous les Québécois sont racistes, ni même qu’il y aurait plus de racisme ici qu’ailleurs. C’est simplement reconnaître qu’il existe du racisme, et que ce racisme s’inscrit dans un système formé de mécanismes plus ou moins conscients parmi lesquels se trouve, ironiquement, le fait de nier le racisme. Comme quoi le serpent n’est jamais à un danger près de se mordre la queue.
Certains allèguent qu’ils ne sont tout simplement pas d’accord avec ce constat, dans lequel ils ne se reconnaissent pas. Le cliché veut que tout le monde ait droit à son opinion, mais il n’en demeure pas moins que les faits corroborent l’existence du racisme au Québec comme ailleurs. La proportion de personnes issues de minorités visibles (nées ici ou ailleurs) au chômage est près du double que celle de l’ensemble de la population. Vous avez moins de chances d’être appelé pour un entretien d’embauche ou pour visiter un appartement si vous avez un nom à consonance étrangère. Les personnes «racisées» sont plus présentes dans la population carcérale malgré un taux de criminalité similaire à la population blanche, mais sont sous-représentées dans la culture ainsi que dans les postes décisionnels.
Devant ces signes probants, comment expliquer que des personnes s’opposent aussi vigoureusement à reconnaître qu’il existe un problème, et qu’il est nécessaire de consacrer des ressources pour y remédier? De quoi ces personnes ont-elles peur? Individuellement, se faire traiter de raciste ou apprendre que certains de nos comportements manquent de sensibilité n’est pas agréable. Nous n’aimons pas sentir que nous avons fait une erreur et nous percevoir comme une «mauvaise personne». Notre orgueil est alors blessé. Mais les blessures qu’inflige le racisme sont encore plus violentes.
Sommes-nous simplement trop orgueilleux collectivement? Le cas échéant, est-il vraiment plus important de préserver notre orgueil collectif d’un examen de conscience inconfortable que de remédier au racisme qui, lui, a des conséquences concrètes et mesurables? N’y a-t-il pas quelque chose de constructif dans le fait de reconnaître ses torts pour mieux les réparer? Sommes-nous une société ou un enfant de cinq ans?