Je ne suis pas de ceux qui, d’ordinaire, ont l’épiderme identitaire sensible. De ceux qui, instinctivement ou à dessein, voient des attaques frontales dans tous commentaires formulés à l’égard de leur société, peuple ou nation. Particulièrement lorsque ces commentaires proviennent de «l’extérieur», c’est-à-dire par l’entremise d’un média hors Québec et sont exprimés, bien souvent, par un non francophone.
Insouciance, déni ou irrespect de la nation québécoise? Non. Plutôt une propension à plaider qu’une société démocratique doit s’exposer, pour son propre bien, à toute forme de critiques. L’auto comme l’externe.
Vous vous rappelez l’article de Martin Patriquin dans le Maclean’s discutant de corruption dans la Belle Province? La photo du Bonhomme Carnaval ayant, en main, une valise bourrée de fric manifestement obtenu de manière peu catholique?
Les tirs groupés contre Patriquin et son magazine sont alors bien nourris. Du «Quebec bashing», fulminaient plusieurs. Pourtant, le texte en question ne faisait que dépeindre un portrait qui, bien que malheureux, se voulait plutôt précis: certains secteurs de la société québécoise seraient gangrenés par une culture de corruption.
Quel mal, au fait, à exprimer, voire dénoncer celle-ci? Parce que l’article émanaient du «Canada anglais», d’un journaliste anglo-québécois? À titre de comparaison, quels hauts cris furent formulés quand Patrick Lagacé, gêné par cette même corruption, se fit photographier, aux fins de sa chronique, avec un sac d’épicerie sur la tête? Aucun.
De toute manière, les travaux de la Commission Charbonneau devaient ultimement donner raison, au moins partiellement, aux deux scribes. En d’autres termes, toute critique dite «externe» ne constitue pas obligatoirement la manifestation d’un sentiment anti-Québec.
Ce qui, évidemment, ne signifie pas que ce dernier n’existe jamais. On se souvient, par exemple, d’un récent article du Washington Post portant sur les attentats de Québec (http://journalmetro.com/opinions/in-libro-veritas/1089590/le-party-de-sophismes/).
Le texte d’Andrew Potter, publié dans le MacLean’s aux suites des cafouillages de l’autoroute 13, appartient visiblement à cette dernière catégorie. Clichés, sophismes et mesquineries, tout s’y trouve. Le manque de solidarité des Québécois pour expliquer le cafouillage en question, vraiment? Avoir su, j’aurais pris et envoyé à M. Potter la photo des quelques quidams qui, dans un esprit de charité digne de la plus grande chrétienté, ont patiemment poussé, pendant au moins 45 minutes, la voiture de votre (pas si) humble serviteur (lequel est allé se replanter 500 mètres plus loin, où d’autres missionnaires-de-la-pelle ont pris, fort gracieusement, la relève des premiers).
Une multitude de restaurants montréalais qui offrent de payer «au noir»? Pour quelqu’un qui passe sa vie dans les restos (vous en parlerez à mon frigo), faut croire que je ne fréquente visiblement pas les mêmes établissements que M. Potter. Dans tous les cas, on cherche encore le lien entre la fraude fiscale et l’absence de déneigement de l’autoroute 13.
En bref, aucune critique sociale, aucune réflexivité, aucun fondement rationnel. Plusieurs se sont ainsi demandés, à juste titre d’ailleurs, la raison pour laquelle Maclean’s a diffusé un texte du genre. Ceci, après tout, le rend implicitement complice d’un «Quebec bashing» pas trop subtil.
Le seul motif probable semble, sauf erreur, être celui-ci: l’article en question n’a pas été rédigé par Jo X, mais bien par le directeur de l’Institut d’études canadiennes de la prestigieuse Université McGill, une indéniable fierté québécoise. En fait, en signant l’article en inscrivant son titre, nul doute que M. Potter souhaitait bonifier celui-ci du prestige de son institut et, par la bande, de son université.
Après des excuses formulés le lendemain même de la parution de l’article, l’auteur a dû annoncer, peu après, sa «démission» du poste occupé, mais conservant néanmoins ses fonctions de professeur.
Interpellée, l’Université McGill justifie alors sa décision de la manière suivante: «La question entourant les écrits du professeur Potter n’a pas trait à la liberté universitaire dont il dispose, mais bien à son aptitude à continuer d’exercer effectivement ses responsabilités à titre de directeur de l’IECM […] Signé par le directeur de l’IECM, l’article y est par conséquent rattaché, ce qui fait en sorte qu’il est désormais difficile pour l’auteur de poursuivre ses fonctions à titre de directeur de l’Institut; une situation qu’il a reconnue d’emblée.»
Que penser de ceci? Pas simple. D’un côté, la liberté académique pure, socle de toute société démocratique en quête de progrès scientifiques. De l’autre, le souci de rigueur en matière de recherche universitaire, rigueur absente, on l’a vu, du texte de M.Potter. Un jeu d’équilibre? Peut-être. Une limite justifiée à la liberté académique? Ceci mérite une importante réflexion. On en reparle sous peu.