Le mythe de l’invasion migratoire peut s’exprimer ainsi: la migration internationale atteint des proportions sans précédent. Ce mythe fait appel à l’idée que les pays développés, ou du Nord, sont envahis par des «hordes» de migrants et de migrantes. Cette notion est étroitement associée à la peur d’une menace, qu’elle soit identitaire ou économique. Pourtant, les chiffres sont loin d’appuyer cette perception.
La Division de la population des Nations unies publie régulièrement des statistiques sur les personnes recensées dans un pays autre que leur pays de naissance. La notion de migrant (personnes nées dans un autre pays) implique non seulement le franchissement d’une frontière internationale, mais aussi celle de l’établissement dans un autre pays. Selon les données fournies par les Nations unies, la proportion des personnes vivant en dehors de leur lieu de naissance dépassait à peine 3% en 2015: c’est dire que 97% de la population mondiale vit «chez elle». On est donc loin d’une invasion.
Une autre facette de ce mythe veut que la migration internationale ait augmenté considérablement au cours des dernières années. Or, toujours selon les mêmes données, depuis les années 1990, la proportion des migrants est restée relativement stable, toujours autour de 3%. Pour les pays développés, cette proportion est passée de 7 à 11% entre 1990 et 2015. Il s’agit d’une augmentation relativement faible qui fait ressortir que près de 90% des personnes recensées dans les pays développés sont des «natives». Ce n’est pas ma définition d’une invasion.
Si l’on considère le cas de l’Europe, où foisonnent les idéologies anti-immigration véhiculées surtout, mais pas uniquement, par les partis d’extrême droite, on pourrait s’attendre à ce qu’il y ait effectivement eu migration massive. Or, on constate que depuis les années 1990, l’évolution de la proportion des «étrangers» en Europe se compare à l’ensemble des pays développés. En France, où la fausse idée de la migration massive a été au cœur des arguments politiques du Front national lors de la dernière campagne présidentielle, les chiffres indiquent que la proportion des Français de naissance était toujours de 90% en 2011, un pourcentage resté quasiment inchangé depuis les années 1920.
C’est en Amérique du Nord que l’augmentation a été la plus élevée, passant de 10 à 15% entre 1990 et 2015. Certes, même si 15% (en 2015) demeure encore une proportion relativement petite, on pourrait penser que c’est cette augmentation qui a mis l’immigration au cœur de la dernière campagne présidentielle américaine. Ce sont en fait les Mexicains qui ont surtout été pointés du doigt alors même que le solde migratoire (entrées moins sorties) entre les États-Unis et le Mexique s’est inversé au cours des dernières années: il y a actuellement plus de Mexicains qui quittent les États-Unis qu’il y en a qui y entrent.
On pourrait penser que la préoccupation des gouvernements et de l’opinion publique est plutôt centrée sur l’idée d’une invasion des migrants irréguliers. Or, encore ici, de nombreuses études font état que la notion d’invasion ne correspond pas à la réalité statistique. Les migrants irréguliers constituent une très faible proportion de la population malgré un discours faisant constamment référence à la nécessité de s’attaquer à cette catégorie de migrants. De plus, il faut mentionner que la vaste majorité des migrants irréguliers sont entrés dans les pays avec des statuts réguliers. Dans ce contexte, on voit mal comment on peut justifier la construction de murs, réels ou virtuels, et l’investissement de milliards de dollars dans la technologie de contrôle des frontières pour s’attaquer à un phénomène «interne» aux pays.
Enfin, concernant les réfugiés, ici aussi les chiffres portent à réfléchir. La perception généralement véhiculée est que le monde fait face à une marée montante de personnes qui fuient des pays en guerre et que la situation peut devenir potentiellement hors de contrôle. Pourtant, les chiffres montrent que les réfugiés constituent une faible proportion de la population mondiale (0,3%) et seulement 10% de la migration internationale. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problème. Cela veut dire que la question des réfugiés n’est pas un problème statistique en soi, mais relève plutôt du peu de respect pour la Convention de Genève sur les réfugiés et le refus des pays d’accueillir ces populations en détresse.
Bref, il faut mettre l’idée d’invasion dans la catégorie des statistiques de la peur trop souvent instrumentalisées par certains mouvements et partis politiques.
Retour sur la discrimination en emploi (voir mon Blog du 3 octobre dernier)
Dans son édition du 10 octobre dernier, Métro titrait «Québec fait volte face», faisant ainsi référence au fait que le gouvernement abandonnait l’idée d’une commission sur le racisme systémique pour plutôt se concentrer sur l’enjeu numéro un, qui est maintenant devenu l’emploi et la discrimination. Cela correspond en tous points à mes suggestions à l’effet que la réflexion sur la discrimination devait se concentrer sur les mécanismes d’accès (ou de non accès) à l’emploi pour les immigrants. Celà dit, si cette approche abandonne l’aspect «systémique» de la discrimination en emploi, on risque de déboucher sur des avenues peu pertinentes.