C’était un dimanche. Me souviens, fort bien. Parce que l’après-midi même, je prononçais une conférence devant la Confédération des associations d’étudiants en droit civil (CADED), à Ottawa. Le thème de la conférence? Les répercussions du discours populiste sur la règle de droit.
Je discutais, notamment, de l’intention de Donald Trump de procéder avec son «muslim ban», charmante mesure ayant pour effet de bannir, comme son nom l’indique, les musulmans du territoire américain. Belle idée qui suivait celle, tout aussi sympathique, de carrément «ficher» ces mêmes musulmans, entre autres par le biais d’un signe distinctif visible. Allô 1934.
Bien que dans une tout autre proportion et mesure, le Québec n’était pas en reste. François Legault venait de proposer un «test des valeurs» à imposer aux immigrants. L’échec de ce dernier aurait eu pour conséquence l’expulsion du territoire québécois*. Rarement en reste, Jean-François Lisée avait arraché la chefferie du Parti québécois à Alexandre Cloutier, notamment en comparant odieusement ce dernier à l’imam Charkaoui, en clamant la possibilité qu’un AK-47 puisse se retrouver par-dessous la burka (!) et en gloussant, en pleine assemblée partisane, «qu’il y a des hidjabs partout, ça-suf-fit!!». Bref.
Période de questions, lesquelles arrivent de partout: «Que peut-on faire, monsieur?» Dénoncer la démagogie, refuser le populisme, notamment en utilisant vos tribunes, par exemple les médias sociaux. Autre question, qui arriva droit au coeur: «Est-ce qu’il pourrait y avoir de la violence, à votre avis?» Ma réponse, ultra-spontanée : «Inévitable, madame. À moins d’un sérieux coup de barre.» Appelons cela davantage un réflexe qu’une réflexion soutenue. Et je souhaitais drôlement, il va de soi, me tromper.
En route vers Montréal, deuxième réflexe. Je communique avec quelques étudiants que je sais attachés à la lutte contre l’islamophobie. Créons, leur proposai-je, un petit organisme, virtuel et sans prétention, visant à déconstruire les mythes entourant actuellement la communauté musulmane. Projet M. est ainsi né cette même journée du 29 janvier, dans l’après-midi.
Écrasé sur mon divan en soirée, horreur sur mon fil Facebook. Attentat à la Mosquée de Québec. Pardon? Là? Maintenant? Oui. Six personnes abattues lâchement. Subjugation totale.
Le boss du Métro appelle: «On a besoin d’une chronique, t’as 40 minutes, ça presse.» Chef, oui chef.
Je rappelai alors, à mes risques et périls, le contexte islamophobe pré-attentat. Certaines personnes visées l’ont pris perso. Ironie de l’affaire, le Bloc québécois retire sa publicité électorale comparant le niqab à une goutte de pétrole, invoquant le fait que certains chroniqueurs y voyaient, à tort, de l’islamophobie. Eh bien. Autre affaire : voulez-vous parier que si un musulman avait fait le coup dans une église catho, ces mêmes gens auraient crié au crime haineux?
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Évidemment, jamais je n’aurais pensé, et encore moins écrit, qu’une responsabilité quelconque revenait de facto aux incendiaires dénoncés. Impossible en effet, surtout à cette étape d’établir un lien direct ou indirect entre un contexte et l’attentat commis par Alexandre Bissonnette, dont on ne sait à peu près rien.
S’agissait plutôt de faire réaliser à certains qu’un poste de dirigeant politique, ou encore d’influenceur médiatique, comporte sa part d’obligations. Notamment celle de refuser de mettre le feu à la grange, de déchiqueter davantage le tissu social, d’y aller de fake news contre une minorité religieuse afin de grappiller quelques votes supplémentaires. Dixit Camus (Albert, pas Xavier): «La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité.» Avec 59 % des crimes haineux commis en 2017 contre les musulmans, disons qu’il reste du chemin à parcourir.
*Je proposerais d’abord un petit cours de droit constitutionnel 101 au chef caquiste, tant en matière de droits et libertés que de partage des compétences. S’il l’échoue, il s’auto-expulse de l’arène politique. Offre imprescriptible.