QUÉBEC — Après avoir engrangé des milliards $ de surplus ces dernières années, le gouvernement Couillard se permet de dépenser comme jamais, multipliant dans son budget 2018-2019 les investissements publics d’envergure et les cadeaux aux contribuables.
Le ministre des Finances, Carlos Leitao, a déposé mardi son quatrième budget équilibré d’affilée, un exercice de fin de mandat axé résolument sur la croissance des dépenses de l’État.
Chacun pourra y trouver son compte dans cet exercice budgétaire que Québec a choisi d’étendre sur un horizon de cinq ans, malgré l’échéance électorale d’octobre prochain.
L’économie du Québec, en hausse de 3 pour cent en 2017, a assuré une croissance inespérée de revenus dans les coffres de l’État, à hauteur de 110 milliards $, et fourni ainsi une précieuse marge de manoeuvre au gouvernement lui permettant de jouer au Père Noël.
«Ce budget marque un tournant historique», a commenté d’entrée de jeu le ministre Leitao, en conférence de presse, en annonçant que son gouvernement prévoyait pas moins de 16 milliards $ d’investissements publics en cinq ans.
L’étalement des prévisions budgétaires sur cinq ans est «une bonne pratique budgétaire» visant à «éviter des surprises», selon lui.
La fin de l’austérité
Le choix de mettre le cap sur la croissance des dépenses fera passer le surplus budgétaire du Québec de 2,3 milliards $ en 2016-2017 à seulement 850 millions $ en 2017-2018.
Finie la période d’austérité des premières années du gouvernement Couillard: les dépenses du gouvernement augmenteront cette année de 4,7 pour cent, alors qu’elles n’ont pas dépassé 3 pour cent au cours des dernières années.
«On dépense l’argent que nous avons», a justifié pour sa part le président du Conseil du trésor, Pierre Arcand.
Les grandes missions de l’État auront un peu d’oxygène, après des années de vaches maigres. Le budget du ministère de l’Éducation augmentera de 5 pour cent en 2018-2019 (contre 2,9 pour cent en 2016-2017). Celui de la Santé croîtra de 4,6 pour cent. Les hôpitaux auront droit à une augmentation de 5,3 pour cent de leur budget cette année pour améliorer les services directs prodigués aux patients.
Sur le plan fiscal, Québec tient sa promesse d’alléger le fardeau des petites et moyennes entreprises (PME), qui craignaient devoir assumer seules la hausse prochaine du salaire minimum et les bonifications annoncées aux normes du travail et aux congés parentaux. Les PME auront donc droit à 2,3 milliards $ d’allégements fiscaux en cinq ans, sous forme notamment de diminution de la taxe sur la masse salariale.
Crédits d’impôt pour les particuliers
En novembre, lors de sa présentation de la mise à jour économique, le ministre Leitao avait déjà annoncé les efforts consentis pour baisser les impôts des contribuables, soit environ 1000 $ de moins pour une famille de la classe moyenne. Le budget de mardi y ajoute une série de crédits d’impôts destinés aux particuliers.
Par exemple, l’achat d’une première maison sera facilité grâce à un crédit d’impôt pouvant aller jusqu’à 1376 $. De plus, le programme de rénovation RénoVert, qui a connu beaucoup de succès, est prolongé d’une année.
Les parents ne sont pas oubliés: Québec hausse les frais admissibles au crédit d’impôt pour frais de garde d’enfants, une mesure évaluée à 160 millions $.
La pénurie de main-d’oeuvre incite le gouvernement à convaincre les travailleurs âgés à rester au travail le plus longtemps possible: le crédit d’impôt qui leur est destiné sera bonifié.
Les proches aidants, de même que les personnes âgées en perte d’autonomie, auront eux aussi droit à divers crédits d’impôt.
Québec réserve 96 millions $ à la promotion de l’égalité pour les femmes, dont une bonne partie ira au réseau d’hébergement de victimes de violence conjugale.
La mobilité constitue aussi un axe important du budget avec le financement de trois grands projets de transport collectif à hauteur de 13,5 milliards $: le Réseau express métropolitain (REM), le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal et l’ajout d’un réseau de tramways à Québec.
Le transport aérien régional aura droit à 175 millions $ pour augmenter les déplacements en régions, aménager les infrastructures et réduire les tarifs aériens.
Le secteur de la culture, éternel oublié des budgets, prend soudain sa revanche, se voyant octroyer une manne de 539 millions $ d’ici cinq ans. Le budget du ministère de la Culture fait cette année un bond spectaculaire de 11 pour cent, du jamais vu.
Dans le but de favoriser un meilleur accès à la culture, l’entrée aux musées sera gratuite, un dimanche par mois.
Services numériques taxés
À propos du dossier controversé de Netflix, Québec maintient sa position, différente de celle d’Ottawa, et annonce que la perception de la taxe de vente sur les services numériques sera obligatoire dès 2019.
La future politique bioalimentaire, annoncée sous peu, pourra compter sur 350 millions $ pour soutenir notamment les efforts accomplis pour stimuler la transformation des aliments.
Le taux de chômage au Québec est en baisse constante, autour de 5 pour cent, accentuant les pénuries de main-d’oeuvre dans certains secteurs. On consacrera donc 800 millions $ en vue d’améliorer les programmes de formation de la main-d’oeuvre.
L’accès à la justice ne sera pas épargné. La modernisation des palais de justice et leur informatisation grugeront quelque 500 millions $ en cinq ans.
La légalisation du cannabis entraînera des coûts, soit au moins 25 millions $ par an à des programmes de prévention et d’information destinés aux jeunes, 10 millions $ pour contrer le commerce illicite et 10 millions $ supplémentaires versés aux municipalités pour respecter le principe du partage des revenus.
La bonne santé des finances publiques permet au gouvernement d’accélérer le remboursement de l’énorme dette du Québec, qui atteint 203 milliards $. Québec va piger dans le Fonds des générations pour rembourser 2 milliards $ par année au cours des cinq prochaines années.
Un exercice dénoncé par l’opposition
Les partis d’opposition ont dénoncé l’approche financière du gouvernement. Ce budget est «cynique, désespéré, irresponsable», a commenté le porte-parole de l’opposition péquiste, le député Nicolas Marceau, qualifiant l’exercice de «distribution de bonbons» électoraux.
Selon le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, avec ce budget, le gouvernement ne fait que remettre «l’argent coupé dans les services» publics pendant des années.
«Le grand oublié du budget est le portefeuille des familles», selon lui.
La porte-parole de Québec solidaire, la députée Manon Massé, a qualifié le budget 2018-2019 de «butin électoral». Elle ne s’est pas montrée impressionnée par le fait que le gouvernement ait enfin choisi de distribuer les surplus budgétaires faits «sur le dos des gens» pendant quatre ans.