Il y a une chose que j’ai observée dans les 10 dernières années qui me rend bien fière: on a de moins en moins peur du mot féminisme. C’est une bonne nouvelle. En fait, il serait même correct d’affirmer que le féminisme est «à la mode» en 2018. Mais ça, pour certains, c’est une moins bonne nouvelle.
Il existe une forte tendance à bouder tout ce qui était jadis un peu underground dès que ça devient populaire: les hipsters adoraient Adele avant qu’elle commence à gagner des Grammys et que ses chansons tournent en boucle à la radio top 40, mais après… moins d’intérêt. Ce comportement m’agace. Culture populaire ne rime pas toujours avec médiocrité. Bref, c’est un parallèle un peu boiteux pour parler du féminisme, mais vous comprendrez où je veux en venir.
Beaucoup de gens se questionnent sur l’utilisation du féminisme comme outil de marketing: est-ce que le mouvement devient victime de sa popularité? Perd-t-il son sens, sa force? Il est vrai que le féminisme, ça paye: Beyoncé l’affiche ouvertement et en fait sa marque de commerce, Hollywood enchaîne les reboots féminins à la Ghostbusters et les boutiques multiplient les t-shirts aux slogans du genre «The future is female». L’amalgame entre féminisme et capitalisme dérange.
C’est vrai, j’ai moi-même été choquée quand j’ai entendu parler du reboot de la série Charmed, qui était décrit comme une nouvelle version résolument féministe de l’émission. Charmed, c’est l’histoire de trois sœurs tissées serrées qui utilisent leurs puissants pouvoirs de sorcellerie pour sauver le monde des attaques de créatures malveillantes. La série était déjà féministe à la base, pourquoi insister sur le fait que le reboot le sera? Pour mieux le vendre! C’est évidemment une façon d’attirer l’attention et de faire bien paraître la chaîne et les producteurs. Peut-être que les motivations de ces derniers sont purement mercantiles, mais si le fait d’apposer l’étiquette féministe sur une série attire le public, n’est-ce pas là une bonne chose? Au final, si Charmed présente effectivement un contenu féministe, c’est-à-dire qu’il met de l’avant l’égalité des chances et des droits entre les hommes et les femmes, la mission n’est-elle pas accomplie malgré tout?
Le «pop féminisme» comme il est appelé, n’en est pas un mauvais. Être féministe, c’est croire en l’égalité des sexes. Dans son excellent recueil d’essais Bad Feminist, Roxane Gay écrit que le féminisme est pluriel: «chaque femme, chaque homme peut le vivre et l’exprimer à sa façon. On peut être féministe qu’on se rase les jambes ou pas, qu’on ait une vie sexuelle débridée ou pas, qu’on aime le rose bonbon ou pas. On peut aussi décider de l’affirmer ouvertement ou pas. On peut être féministe uniquement par les actions qu’on pose et les décisions qu’on prend. On peut être féministe, que ce soit «pop» ou pas».
On m’a déjà dit à propos de l’engouement autour des t-shirts aux slogans féministes: «Si les filles qui les portent n’ont aucune idée de ce qu’ils veulent dire, c’est complètement inutile!» J’ai répondu que si le hashtag #girlpower imprimé sur un t-shirt dans un magasin cheap attire une centaine d’ados et qu’une d’entre elles, ne serait-ce qu’une seule, a la curiosité de s’informer et de comprendre, c’est une victoire pour le féminisme. Si parmi les dizaines de personnes qui remarquent le symbole de Vénus que j’ai de tatoué sur l’avant-bras, une seule entreprend la conversation pour connaître sa signification, c’est une victoire pour le féminisme. Je le vois comme ça: plus le mot est exposé, plus on s’y intéresse, plus on le comprend.
Sur ce, je vais aller écouter du Queen Bey en portant mon t-shirt «Femme Moderne» et en buvant dans ma tasse imprimée «FEMINIST». J’en ferai peut-être même une story Instagram… avec l’ambition de changer le monde un petit bout à la fois.