MONTRÉAL — Leslie Woodlock se souvient très bien du jour où ses parents l’ont emmené voir le médecin pour obtenir un diagnostic. Il avait 11 ou 12 ans, il avait des tics, des T.O.C. et une façon de répondre plutôt particulière.
«Ça n’a pas pris deux secondes et quart dans le bureau du médecin. Il a dit, votre fils a le syndrome de Tourette», raconte-t-il.
Dès le départ, on lui prescrit de la médication. Comme son syndrome entraîne toutes sortes de symptômes dont un trouble d’hyperactivité, de l’anxiété, un trouble obsessif compulsif, on lui ajoute d’autres prescriptions.
Ces médicaments causant des interactions entre eux et des effets secondaires, le jeune garçon qu’il était vit difficilement son adolescence. «J’avais des problèmes de vision, des problèmes de poids, c’était difficile. Tu te stigmatises toi-même», se rappelle celui qui commence à peine à accepter son syndrome à l’âge adulte.
Jamais on n’a offert à Leslie Woodlock de soutien psychologique pour lui expliquer les effets de son syndrome ou lui apprendre à vivre avec cette différence.
«Je me souviens qu’on m’a fait sortir du bureau du médecin, mes parents ont pleuré un bon coup, et puis c’était tout», raconte le jeune homme qui a plus tard dévié vers la consommation de drogue et s’est retrouvé à la rue.
Aujourd’hui, il poursuit des études en éducation spécialisée et milite au sein du Mouvement jeunes et santé mentale. Des cas comme le sien, le Québec en compte des milliers selon les 250 organisations et 1000 personnes qui ont signé une déclaration commune pour réclamer un débat public sur la «médicalisation à outrance» des jeunes aux prises avec des problèmes sociaux.
En conférence de presse à Montréal, dimanche matin, le mouvement a demandé aux partis politiques en campagne électorale de s’engager à mettre sur pied une commission parlementaire sur la médicalisation des problèmes sociaux des jeunes.
Selon la porte-parole du mouvement, Anne-Marie Boucher, les quatre principaux partis politiques du Québec ont été interpellés, mais aucun n’a voulu s’engager sur la création d’une commission parlementaire.
D’après Mme Boucher, de nombreux chercheurs s’inquiètent de la croissance des diagnostics psychiatriques et de la hausse de l’usage de la médication chez les jeunes, surtout qu’on ne connaît pas tous les effets des psychotropes sur les jeunes cerveaux.
Le mouvement dénonce une dérive favorisée par le manque de ressources dans le milieu scolaire, notamment, où l’on pousse les parents à obtenir un diagnostic et à médicamenter leur enfant.
Une pilule contre les problèmes sociaux
Le mouvement a tenu une large consultation auprès des jeunes, en 2016, qui a permis de constater que les diagnostics tombent trop rapidement et que la médication est la seule solution proposée.
De manière générale, les jeunes sont mal informés sur la médication qu’ils consomment, leurs interactions avec d’autres drogues ou substances et les effets secondaires. Ils sont aussi mal informés de leurs droits concernant les soins de santé.
«Il y a une tendance croissante à médicaliser, à appréhender de façon médicale des difficultés qui ne sont pas d’ordre médical. On peut penser à la pauvreté, à l’exclusion, à des problématiques familiales, à des difficultés émotives», énumère Anne-Marie Boucher.
«Il y a une tendance à donner une pilule parce qu’on manque de ressources de soutien», ajoute celle qui est aussi responsable des communications du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec.
Présidente de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, Guylaine Ouimette abonde dans le même sens. Pour l’ordre, il est primordial d’intervenir sur les déterminants sociaux d’abord, c’est-à-dire la pauvreté, le logement, la scolarité, l’enfance, etc.
«À ce jour, il n’y a aucun médicament capable d’agir sur les déterminants sociaux», ironise-t-elle.
Questions sans réponse
Tout en dénonçant la situation actuelle, le mouvement ne prétend pas détenir la solution, mais il souhaite initier la réflexion.
«On a une longue liste de questions et on ne peut pas y répondre seuls. On a besoin d’un débat public. Permettez aux Québécois d’aborder cette question-là dans la lumière», réclame Anne-Marie Boucher.