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Catherine Dorion et la langue de bois (ou l’inverse)

Catherine Dorion, députée de Taschereau

La nouvelle députée de Québec solidaire, Catherine Dorion, a fait beaucoup parler d’elle depuis son élection.

Encore cette semaine, certains lui reprochaient d’avoir fait l’acquisition d’un Subaru Crosstrek 2015, ce qui viendrait en contradiction avec les aspirations de son parti qui prône une réduction du nombre d’automobiles sur les routes.

Global News est même allé jusqu’à vérifier si QS était du genre à empêcher ses députés de posséder une voiture. La réponse est non. Les députés solidaires ont le droit de se déplacer. Chanceux.

Cette histoire arrivait quelques jours après que Mme Dorion eut fait une analogie étonnante dans une vidéo démontrant les conséquences néfastes probables liées à la construction d’un troisième lien à Québec:

«Dans le fond, une nouvelle autoroute, c’est un peu comme une ligne de coke. Le monde se dit: ah tiens, je vais prendre ça, je vais être moins saoul, j’va avoir de l’énergie. Sauf qu’une heure après, qu’est-ce qui arrive? Il faut une autre ligne de coke. Fait que c’est ça notre problème en fait, c’est un problème de dépendance à l’automobile.»

Généralement, l’objectif d’une analogie est de faire comprendre au plus grand nombre un concept flou en utilisant un exemple universel. Dans ce cas-ci, seuls les cocaïnomanes alcooliques auront compris la référence et il est fort à parier qu’ils seront peu nombreux à se prononcer sur le transport autoroutier dans la région de la Capitale nationale, occupés qu’ils sont à n’avoir pas trop l’air hyperactifs.

Et de toute façon, rappelez-vous qu’il ne faut pas prendre de la cocaïne et conduire votre automobile sur un troisième lien. Sur un deuxième lien non plus, inutile de le préciser.

Au-delà de ces considérations rhétoriques, il n’y a pas grand-chose de scandaleux dans cette déclaration. Bizarrement, elle ne semble avoir indigné que ceux qui se plaignent généralement de la rectitude politique qui les empêche de dire les «vraies affaires» et qui force les politiciens à utiliser la langue de bois.

La langue de bois peut être une façon d’éviter de se mettre un pied dans la bouche, ou une technique pour nous cacher des vérités. Comme disait Stendhal (en tout cas, c’est ce qui est écrit sur internet), «La parole a été donnée à l’homme pour cacher sa pensée».

Pourtant, d’un côté, nous conspuons l’utilisation de la cassette, et de l’autre, nous faisons nos choux gras des déclarations qui sortent du cadre.

Mme Dorion elle-même avait d’ailleurs noté lors de sa première mêlée de presse que la pression des journalistes pourrait avoir une influence sur le discours des élus.

«Les scrums, je trouve ça fascinant. Pour de vrai, saviez-vous que une des techniques d’interrogatoire en URSS, la plus soft, c’était de mettre une grosse lumière dans face du prévenu et de lui poser des questions en rafale. Je sais pas si vous voyez un lien?»

Elle ajoutait que ces lumières pourraient, ironiquement, éteindre les politiciens:

«Est-ce qu’il y aurait peut-être un lien entre comment des politiciens tout frais, plein d’idées, un regard original, arrivent en politique pis au bout de relativement peu de temps, deviennent plutôt, ben finalement, plutôt plate là. Parce que s’ils disent quelque chose, ça va sortir en scandale.»

Justement, le terme «langue de bois», comme la vodka, Alex Ovechkin et les usines à fake news, viendrait de Russie.

Avant la Révolution russe au début du 20e siècle, les Russes se moquaient de l’administration bureaucratique tsariste et sa «langue de chêne», ce qui n’a pas empêché les communistes de continuer d’utiliser un langage très codifié qu’on appela progressivement «langue de bois».

Catherine Dorion a déclaré en entrevue qu’elle avait l’impression que depuis son élection, elle se faisait critiquer parce qu’elle était elle-même, un elle-même dont le franc-parler en choque certains.

Évidemment, on continuera de critiquer Mme Dorion parce qu’elle est elle-même, comme on critique Maxime Bernier parce qu’il est lui-même. Ou parce qu’il essaie d’être quelqu’un d’autre qui l’inspire. Mais peu importe. Ça ne veut pas dire qu’ils doivent cesser d’être eux-mêmes.

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