Pressé par la communauté musulmane qui a jugé ses propos «offensants» et «inexacts», le premier ministre François Legault a été forcé de revenir vendredi sur sa déclaration voulant qu’«il n’y ait pas d’islamophobie au Québec».
«M. Legault voulait dire qu’il n’y a pas de courant islamophobe au Québec, a précisé l’entourage du premier ministre qui s’est activé à corriger la déclaration qui a fait beaucoup de bruit partout au pays. Il existe de l’islamophobie, de la xénophobie, du racisme, de la haine, mais pas de courant islamophobe. Le Québec n’est pas islamophobe ou raciste».
S’en est suivi une deuxième précision du cabinet du premier ministre: «Il n’y a pas de courant ni de culture d’islamophobie au Québec. Les Québécois sont ouverts et tolérants et continueront de l’être. Malheureusement, trop d’actes racistes surviennent encore aujourd’hui dans notre société et il faut tout faire pour dénoncer et combattre la haine et l’intolérance.
«Nous continuerons d’honorer la mémoire des six victimes de la tragédie de la mosquée de Québec chaque 29 janvier. C’est un devoir de mémoire important.»
Ces rectificatifs ont semblé satisfaire le chef intérimaire du Parti libéral du Québec (PLQ), Pierre Arcand, qui, plus tôt, s’était joint au Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) pour exiger des excuses et une rétraction.
Il avait relevé qu’un résident de Terrebonne, Pierre Dion, a été arrêté jeudi soir après avoir publié sur les réseaux sociaux des commentaires et une vidéo proférant de la haine à l’endroit de la communauté musulmane.
«(M. Legault) reconnaît qu’il s’est trompé, (…) c’est pas mal une excuse, il a corrigé le tir et moi je suis satisfait», a déclaré M. Arcand en point de presse au terme du caucus présessionnel de son parti à Québec.
Jeudi, à Gatineau, M. Legault avait justifié sa décision de ne pas instaurer une journée nationale contre l’islamophobie, parce qu’«il n’y a pas d’islamophobie au Québec».
Ihsaan Gardee, directeur exécutif du CNMC, a écrit dans un communiqué que les commentaires du premier ministre, formulés moins de 48 heures après sa participation à la commémoration du meurtre de six musulmans le 29 janvier 2017 au Centre culturel islamique de Québec, étaient insultants pour les familles des victimes et les communautés musulmanes québécoise et canadienne qui vivent encore un deuil dans la foulée de cette tragédie.
M. Gardee a déploré que le premier ministre soit, à son avis, déconnecté des réalités de l’islamophobie sur le terrain au Québec. Il lui a demandé de reconnaître que l’islamophobie, comme toutes les autres formes de haine et de racisme, existe au Québec et nécessite d’être abordée.
Le CNMC a ajouté que la déclaration de M. Legault ne faisait que flatter les sentiments réactionnaires et populistes au détriment des musulmans du Québec, lesquels sont déjà vulnérables.
Le président et cofondateur du Centre culturel islamique de Québec, Boufeldja Benabdallah, s’est également adressé au premier ministre vendredi, en l’accusant de ne pas avoir mesuré la gravité de ses mots. Il a dit s’être senti «trahi» et avoir reçu les mots du chef du gouvernement comme un «coup de massue».
«Vous ne pouvez pas et vous ne devez pas, monsieur le premier ministre, laisser aller ce dérapage (par la force de quelques mots) dans la conscience sociale», a-t-il écrit.
En fin d’après-midi, le premier ministre François Legault a annoncé s’être entretenu avec M. Benabdallah. «Je l’ai assuré que mon gouvernement combattra le racisme, la haine et l’intolérance», a-t-il déclaré sur Twitter.
Statistique Canada rapportait en fin de novembre dernier que le nombre de crimes motivés par la haine déclarés à la police avait fortement augmenté en 2017 au pays, et que les incidents ciblant les Noirs, les juifs et les musulmans ont été à l’origine de la majeure partie de cette hausse.
Le maire de Toronto, John Tory, a quant à lui désigné le 29 janvier jour de mémoire et d’action contre l’islamophobie dans sa ville.
Le débat se transporte à Ottawa
La déclaration du premier ministre a laissé le député libéral Joël Lightbound «un peu perplexe». Car selon l’élu de la région de Québec, «la société québécoise n’est pas islamophobe», mais «il y a au sein de la société québécoise de l’islamophobie», et «le nier ne sert à rien».
Sa collègue néo-démocrate Anne Minh-Thu Quach a abondé dans le même sens, arguant que c’était «faire preuve d’un manque de sensibilité» que de dire «qu’il n’y a pas d’islamophobie, que ça n’existe pas» deux jours après la commémoration de l’attentat à la mosquée.
De son côté, l’élu conservateur Gérard Deltell a commencé par dire «qu’il n’y a pas d’islamophobie au Québec» avant de corriger le tir et de plaider que «comme dit le premier ministre du Québec, ce n’est pas une question de courant».
Au Bloc québécois, le terme islamophobie dérange. Car il a «pris une connotation très politique» et que souvent, il est utilisé pour essayer de museler la critique qu’on peut faire d’une religion», a avancé la députée Monique Pauzé. Elle préfère donc le terme «anti-musulman».
Un comité parlementaire à majorité libérale a recommandé en février dernier de faire du 29 janvier la Journée nationale de commémoration et d’activités concernant l’islamophobie et toute autre forme de discrimination religieuse. Les conservateurs du comité s’y étaient opposés.
La question n’a toujours pas été tranchée.
Caroline Plante et Mélanie Marquis, La Presse canadienne