Quand je suis passé de l’écriture «académique» à l’écriture «journalistique», j’ai compris qu’il s’agissait de deux mondes distincts. D’un côté, la recherche scientifique, même celle qui se veut plus abordable pour le grand public, doit utiliser des concepts théoriques parfois abstraits et des méthodologies souvent très hermétiques. De l’autre côté, lorsqu’il s’agit de rendre plus accessibles les acquis de la science via l’écriture «médiatique», comme celle de la chronique et du blogue, le défi le plus important est de rester lisible tout en respectant la méthode scientifique.
On peut donner comme exemple de ce défi les tentatives des presses universitaires de participer aux débats publics en donnant la parole aux spécialistes. C’est ce que vise la nouvelle collection des Presses de l’Université de Montréal, «Pluralismes». Quatre publications de cette collection tentent d’éclairer les débats qui caractérisent toutes les sociétés actuelles.
La première publication est la plus générale et s’intéresse au pluralisme dans les «démocraties libérales» (1). Ce livre ouvre la réflexion sur les défis du pluralisme et permet de ne pas le réduire à sa seule dimension migratoire: races, ethnies, groupes autochtones, religions, orientations sexuelles, genre, autant de domaines où s’affrontent des conceptions parfois diamétralement opposées. Les nouveaux défis du pluralisme impliquent de dépasser les oppositions radicales pour accommoder ce pluralisme. Au-delà de la diversité (qui est un fait), est pluraliste toute société qui reconnaît qu’elle est plurielle et qui cherche à l’aménager.
La deuxième publication (2) se concentre sur les défis de l’immigration et des rapports ethniques dans la société québécoise (publication à laquelle j’ai participé). Ce livre explique pourquoi il est important d’étudier les rapports ethniques pour comprendre l’évolution du «Nous» versus «Eux». Dans ces rapports majorité/minorités, la discrimination constitue un incontournable dans les discussions sur l’intégration. Au-delà des approches globales (une ville, une province, une région), les modes de cohabitation dans les quartiers de la ville donnent une meilleure image de la complexité des rapports entre groupes. Enfin, sur la religion, il faut constater là aussi la diversité à l’intérieur des groupes religieux qui sont loin d’être homogènes.
Les deux derniers exemples sont plus spécifiques et se consacrent à décrire la présence arabe au Canada et à Montréal. Il est toujours instructif de remonter dans l’histoire pour se rendre compte que la présence d’un groupe comme les Arabes n’est pas nouvelle au Canada (3). On est loin du «stéréotype» arabe comme groupe homogène. Comme le dit l’auteur, contrairement à certains groupes qui ont réussi à sortir de leur situation de minorités discriminées (il donne l’exemple des Italiens), la place des Arabes dans la hiérarchie raciale s’est plutôt dégradée.
Le cas des Maghrébins à Montréal (4) illustre encore une fois la grande hétérogénéité du groupe. De plus, le livre montre qu’il est important de ne pas se fixer uniquement sur la dimension religieuse de l’intégration: les dimensions ethniques, de classe, de profession, etc. sont également au centre de l’intégration.*
Même si l’écriture reste encore parfois trop «académique» (c.-à-d. écrite pour les pairs), cette collection demeure un premier pas important dans l’effort de sortir la science de sa tour d’ivoire.
Les quatre livres en question:
- (1) Daniela Heimpel et Saaz Taher, Pluralisme et démocraties libérales
- (2) Deirdre Meintel, Annick Germain, Danielle Juteau, Victor Piché, Jean Renaud, L’immigration et ethnicité dans le Québec contemporain
- (3) Houda Asal, Se dire arabe au Canada
- (4) Bochra Manaï, Les Maghrébins de Montréal
*Même s’il n’est pas dans la collection, le livre de Michel Seymour et Jérôme Gosselin-Tapp, La nation pluraliste: repenser la diversité religieuse au Québec (2018) participe dans le même effort de contribuer aux débats publics.