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Chronique d’un monde nouveau

Sylvain Ménard

Quand ta semaine commence avec un gars qui se filme parce qu’il est incapable de payer sa course en taxi et se termine avec le premier ministre de l’Ontario qui décrète que les médias traditionnels sont rendus inutiles, tu sais que tu vis dans un monde extraordinaire. Un monde où plus rien ne tient. Un monde à faire et à refaire, quitte à le défaire à l’endroit comme à l’envers.

Le cas de l’influenceur désargenté est particulièrement intéressant. Dans sa tête, l’équation est simple : tu te fais voler ton porte-monnaie, tu prends un taxi et, au terme de ta promenade, tu sors une carte-cadeau sans t’être demandé au préalable si elle allait être acceptée. On te la refuse, tu es dans la marde et, plutôt que de t’accabler de remords et de regrets, tu filmes le chauffeur dans le but de l’humilier et de détruire sa réputation. Ta-daaaaam! Le tour est joué. Ensuite, après avoir obtenu un semblant d’unanimité – plutôt négative – autour de ton exploit, tu t’excuses du bout des lèvres en laissant bien voir que, malgré le tsunami de bêtises qui t’est tombé dessus, tu n’as pas encore tout saisi. Un monde extraordinaire que je vous dis!

Pour que les choses soient claires à l’avenir, je suggère qu’on implante une micropuce dans le poignet de tous les influenceurs dignes de ce titre. Alors, tu prends un taxi, tu bouffes au resto, tu vas chez le dentiste, peu importe. Tu passes ton bras au-dessus du scanner et voilà, le tour est joué. Tu ne paies rien, car ta seule présence fait foi d’un juste prix. Parce que, dans une société moderne, avoir le cul bordé de followers devrait être largement suffisant. Avouez que le monde serait bien plus simple si on stoppait net cette vilaine manie qu’on a de toujours vouloir fixer un prix à tout. Voir si ça se peut, payer un taxi en 2019…

Doug Ford est aussi, à sa manière, un révolutionnaire. Premier ministre de la plus grosse province canadienne, il commence à en avoir plein son gros dos des médias et de ces maudits journalistes qui épient systématiquement ses moindres faits et gestes. Sans compter ce qu’ils ont fait subir jadis à son frère Rob, défunt maire de Toronto, qui ne pouvait même plus consommer son crack en paix sans que ça se retrouve à tous les bulletins de nouvelles.

Tout serait si simple si on n’avait point de comptes à rendre à ces emmerdeurs de première qui se disent les représentants du quatrième pouvoir.

Pour Doug Ford, les vraies affaires, c’est d’y aller directement, sans intermédiaire ni trop d’explications. C’est promettre de ramener la bière à 1 $ la canisse pour gagner ses élections, c’est couper court au financement d’une université francophone en Ontario, c’est pouvoir nommer ses chums à des postes importants sans s’enfarger dans les fleurs du tapis. Dans un pareil contexte, les journalistes, il n’en a que faire; Facebook et Twitter font amplement le travail.

Comme dirait l’autre, si le monde ne fait pas ton affaire, invente-toi z-en un à ton goût.

•••

La direction de la télé d’État nous a appris que l’émission Second regard ne serait pas de retour la saison prochaine.

Question : en quoi cette émission était-elle de trop dans la programmation?

En raison de son coût de production? Ça serait étonnant.

Parce qu’après presque 45 ans, elle avait fait son temps? Hum, me semble que les émissions de société qui laissent place à la réflexion n’ont jamais été aussi pertinentes­.

Alors, serait-ce pour faire encore plus de place aux mêmes faces qu’on voit déjà beaucoup?

D’après moi, non. Ça serait trop bête…

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