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Intérêts caquistes et québécois

Frédéric Bérard

Un mois en politique, veut le dicton, constitue une éternité. Imaginez 10 mois… Parce qu’en janvier à peine, tout le monde s’est demandé si, dans une certaine mesure, Yves-François Blanchet n’était pas un peu fou. Fou de vouloir être à la tête d’un parti qu’on croyait alors être un cadavre encore chaud, celui du Bloc québécois. Dans le temps de le dire, virement de cap, les militants féroces et opiniâtres dans la petite poche arrière, et opération séduction électorat réussie, le tout en un temps probablement record. 

Reste toutefois, et nous l’avons déjà souligné dans cette chronique, qu’une partie appréciable de cette séduction électorale s’est exercée au prix de nombreuses contradictions gênantes.

Se faire notamment l’apôtre absolu de la laïcité, alors que cette question ne relève aucunement d’Ottawa, et de réclamer ensuite une trêve de discussion à cet égard.

Encore plus paradoxal est l’enjeu environnemental. Se vautrer dans l’énergie propre tout en appuyant le troisième lien et le gazoduc GNL? Voilà qui a de quoi rendre cynique le plus candide des observateurs. Mieux encore: la raison évoquée pour justifier cette importante contradiction? Le respect des juridictions provinciales. Eh ben… Drôle, mais il me semble avoir entendu Blanchet et ses troupes condamner à maintes reprises les sables bitumineux de l’Alberta, entre autres choses. Invoquer les compétences provinciales quand ça nous arrange, ainsi donc (comme le reste).

Le plus fascinant, cela dit, reste la stratégie bloquiste en elle-même: se coller, coûte que coûte, à l’ensemble des revendications caquistes, en établissant dans l’esprit populaire l’adéquation suivante: le gouvernement québécois représente les intérêts québécois, le Bloc porte à Ottawa la voix du gouvernement québécois, donc le Bloc représente également les intérêts québécois. Simple et efficace. 

Laissons de côté l’ironie de voir ainsi le Bloc se faire l’endosseur d’un parti fédéraliste, une première dans son histoire, et posons-nous la question suivante: quels sont, au fait, ces intérêts du Québec?

Parce que, donnons à César Legault ce qui lui revient, il a réussi, comme rarement, à assimiler revendications caquistes et bonheur collectif du pays de Lévesque. Or – et surtout si on considère un score électoral de moins de 40% –, est-il loisible de croire que la réalité est plus complexe? Que la pluralité des opinions a encore voix au chapitre? Que toute décision ou volonté caquiste n’est pas nécessairement exempte de lacune et pourrait nuire, à court ou long terme, aux «intérêts québécois»? On serait tenté de le croire.

«Le plus fascinant reste la stratégie bloquiste en elle-même: se coller, coûte que coûte, à l’ensemble des
revendications caquistes.
»

En fait, même si Lucien Bouchard a eu raison de dire un jour à un employé que «le nationalisme est la potion magique des politiciens québécois», il n’en demeure pas moins qu’adhérer à l’adéquation suggérée serait non seulement la conversion à une dangereuse religion d’État (trouvez l’erreur) où la dissidence est excommuniée, mais constituerait un désolant aveuglement volontaire desservant la nation. 

Des exemples? Les deux principales revendications du gouvernement Legault adressées à Ottawa sont les suivantes: des pouvoirs accrus en matière d’immigration et un rapport d’impôt unique. Or, si ces pouvoirs étaient dévolus à Québec – ce qui prendrait d’ailleurs une modification constitutionnelle –, nul doute que ce dernier s’en servirait pour poursuivre son opération de démolition côté immigration, là où les erreurs et hérésies de Simon Jolin-Barrette sont déjà légion, selon les experts en la matière, ternissant de manière peut-être irréversible notre image si chèrement entretenue à l’étranger.

Pensons notamment aux 18 000 dossiers écartés sans aval préalable de la loi et de la Cour (autre violation de l’État de droit), ou encore aux ententes relatives aux étudiants d’autres pays, également malmenées par le ministre, et ce, au grand désarroi des universités québécoises (et de notre quotient intellectuel collectif).

Ensuite, pour ce qui est du rapport d’impôt unique, je veux bien, mais disons qu’on est loin des sujets d’importance, ici, l’environnement au premier chef.

Et voilà où le bât blesse: comment le Bloc pourra-t-il défendre l’énergie propre ou des projets porteurs afférents alors qu’il défend les initiatives caquistes du troisième lien ou de GNL?

Quelle crédibilité aura-t-il à Ottawa et ailleurs?

Enfin, pour ce qui est de son excellente idée de «péréquation verte», visant à récompenser les provinces les plus environnementalement efficaces, il est à parier qu’elle risque de desservir drôlement le Québec, cancre en la matière.

Ce dernier se verrait donc privé, si on suit la logique de Blanchet, de quelques milliards de dollars annuellement du fait de l’initiative bloquiste.

Morale de l’histoire? Son chef, aux premiers hurlements de Legault, laissera tomber cette idée pourtant prometteuse.

Difficile en effet de voir ce qui pourrait être plus important, pour les intérêts québécois, que sa survie au sens physique du terme, non? Autre morale: réaliser les limites et la duplicité du «Québec, c’est nous» et s’improviser la copie carbone d’un gouvernement qui, ne lui en déplaise, ne détient en aucun cas le monopole de la vertu, aussi caquiste soit-elle…

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