Le gastro-entérologue de garde à l’hôpital de Joliette la veille du décès de Joyce Echaquan, Dr Jean-Philippe Blais, pensait qu’elle présentait des signes de sevrage et lui aurait alors prescrit de la morphine pour éviter un état de choc.
C’est ce que le spécialiste a déclaré à la barre des témoins, alors que débutait la troisième journée d’audiences publiques de l’enquête sur la mort de la femme de 37 ans d’origine atikamekw décédée dans des circonstances troublantes et sous une pluie d’injures au Centre hospitalier régional de Lanaudière le 28 septembre dernier.
Dr Jean-Philippe Blais était le deuxième à témoigner lundi matin au palais de justice de Trois-Rivières, après la médecin à l’urgence Dre Mahée Boisvert.
Selon les deux professionnels, Joyce Echaquan avait notamment une anémie, un pacemaker-défibrillateur, de grandes douleurs à l’abdomen, un trouble de personnalité limite, avait déjà fait un AVC et recevait des prescriptions pour des opioïdes.
À sa première consultation avec Joyce Echaquan le matin du 27 septembre 2020, Dr Jean-Philippe Blais avait convenu de lui faire une coloscopie le lendemain pour voir s’il y avait des pertes sanguines car elle faisait de l’anémie. Il avait alors conclu à des douleurs chroniques sans toutefois pouvoir localiser précisément la cause.
Dépendance aux narcotiques?
Le soir du 27 septembre à 17h, Dr Blais a été dépêché dans la chambre de Joyce Echaquan puisqu’elle était très agitée et présentait une intense sudation. C’est à ce moment que le spécialiste en est venu à la conclusion que Joyce Echaquan était en sevrage, plus précisément en manque de narcotiques.
Il se basait sur son état clinique et sur le fait que Mme Echaquan lui aurait avoué «consommer beaucoup» d’opioïdes, ce qu’elle niait à leur première rencontre.
Le spécialiste a donc prescrit de la morphine à sa patiente souffrante et nauséeuse. En situation de sevrage, il n’est pas rare d’en redonner un peu pour éviter l’état de choc, a-t-il expliqué. À ce moment, Dr Jean-Philippe Blais recommande aussi un suivi et se dit que le lendemain un plan de diminution serait fait.
Pour la témoin, Annie Desroches, qui a partagé la même chambre que Joyce Echaquan à l’urgence, il est clair que le femme atikamekw ne voulait pas se faire prescrire de la morphine, justement parce que le médicament lui créait un fort effet de sevrage lorsqu’elle cessait de le prendre.
«Elle demandait un anti-douleur tout de même, car elle avait très mal. Une infirmière est venue lui faire une injection, mais je n’ai pas su de quel antidouleur il s’agissait… Mais s’il s’agissait de morphine, elle n’en voulait pas», écrit Mme Desroches dans une lettre datée du 29 septembre.
Près de huit mois après l’évènement, Dr Jean-Philippe Blais a soutenu ne pas comprendre ce qui était arrivé. «J’ignore complètement la cause du décès», a-t-il déclaré alors qu’il était questionné sur ce qui aurait pu être fait de différent.
Témoignages du personnel médical toute la semaine
Les audiences, qui s’étendront sur trois semaines, se poursuivent cet après-midi avec le témoignage de trois infirmières. En raison d’une ordonnance de non-publication, leurs noms ne seront pas connus.
Pendant quatre jours cette semaine, pas moins de 12 infirmières et trois préposées aux bénéficiaires, entre autres, vont venir témoigner.
Rappelons que, à la suite de la diffusion de la vidéo qui a choqué tout le Québec, une infirmière et une préposée ont été renvoyées. Dans la foulée de la tragédie, la cheffe des urgences de l’hôpital de Joliette, Josée Roch, a démissionné et le président-directeur général du CISSS de Lanaudière, Daniel Castonguay, a perdu son poste.
L’enquête publique présidée par la coroner et avocate Géhane Kamel a débuté jeudi dernier avec les témoignages des proches et des membres de la famille de Joyce Echaquan.
Les témoins ont tous relaté que Joyce Echaquan avait peur d’aller à l’hôpital de Joliette, où elle se rendait régulièrement à cause de problèmes de santé. Selon son conjoint, Carol Dubé, Joyce Echaquan prenait des narcotiques, mais seulement en fonction de ce qui lui était prescrit. Elle fumait aussi du cannabis, a-t-il mentionné.
«C’en est assez» du racisme dans la santé
Pour le président du Conseil pour la protection des malades (CPM), Me Paul G. Brunet, «c’en est assez» des multiples cas rapportés de gestes, de propos et d’attitudes racistes dans le réseau de la santé québécois.
C’est ce qu’il a laissé savoir par voie de communiqué lundi matin avant le début de cette deuxième semaine d’audiences publiques.
Le CPM a même écrit au Gouvernement du Québec pour réclamer une enquête complète sur la situation dans l’ensemble du réseau de la santé.
L’étude rapide doit identifier les causes du fléau et permettre de lancer un plan d’action national et obligatoire auquel serait assujettie la plus haute direction de tous les CIUSSS et CISSS du Québec. «Pour faire diminuer et faire cesser ces manifestations monstrueuses dans la société québécoise, il faut plus que des mots de la part de nos dirigeants», écrit-on.
Le CPM exhorte aussi tous les comités d’usagers et de résidents de tous les établissements de soin publics à lui rapporter tous les gestes, les propos et les attitudes racistes dont leurs membres ont pu être ou sont témoins dans leurs lieux d’activités au sein des établissements.