Jason Kindrachuk, University of Manitoba et Souradet Shaw, University of Manitoba
ANALYSE – L’émergence de variants dits «préoccupants» à la fin de 2020 a marqué un tournant dans la pandémie de Covid-19, le terme entrant ainsi dans le vocabulaire de tout un chacun. L’accélération dans le monde de l’un d’entre eux, le variant Delta, soulève des questions sur son origine, sa transmissibilité, ses points chauds et son potentiel de résistance au vaccin.
Qu’est-ce qu’un variant ?
Grâce au séquençage du génome, nous pouvons déterminer l’ordre spécifique des gènes individuels et des nucléotides qui composent l’ADN et l’ARN. Si l’on considère le virus comme un livre, c’est comme si toutes les pages avaient été découpées en morceaux. Le séquençage nous permet de remettre les mots et les phrases dans le bon ordre. Les variants diffèrent les un des autres en fonction des mutations. Ainsi, deux exemplaires du livre seraient des « variants » si un ou plusieurs des morceaux découpés étaient différents.
Il faut également savoir que des variants sont apparus tout au long de la pandémie sans que cela n’ait d’effet sur les comportements viraux. Cependant, l’émergence de variants préoccupants, où les mutations ont entraîné une modification des caractéristiques du virus (augmentation de la transmission et de la gravité de la maladie, réduction de l’efficacité des vaccins, échec du dépistage) a eu des conséquences importantes.
L’émergence et la transmission de B.1.1.7 (Alpha), B.1.351 (Beta) et P.1 (Gamma) au Canada ont donné lieu à des troisièmes vagues de transmission qui ont entraîné l’engorgement des systèmes de soins de santé et de nouvelles restrictions. L’Organisation mondiale de la santé a introduit un nouveau système de dénomination, basé sur l’alphabet grec, pour les variants des coronavirus au printemps 2021.
Qu’est-ce que le variant Delta, et où a-t-il émergé ?
Le variant Delta est un variant préoccupant également connu sous le nom de B.1.617.2 et constitue l’une des trois sous-lignées connues de B.1.617. Selon les Centres de contrôle et de prévention des maladies des États-Unis, le variant Delta a été détecté pour la première fois en Inde en décembre 2020.
Qu’est-ce qui rend Delta différent des autres variants préoccupants ?
L’une des caractéristiques du variant Delta est sa transmissibilité accrue, avec des augmentations estimées de 40 à 60 % par rapport au variant Alpha. Des données récentes provenant d’Écosse suggèrent que le risque d’hospitalisation double à la suite d’une infection par le variant Delta (par rapport au variant Alpha), en particulier chez les personnes présentant au moins cinq autres problèmes de santé. Une augmentation du risque d’hospitalisation a été observée à partir de données recueillies en Angleterre.
L’analyse épidémiologique, qui porte sur des éléments tels que la distribution de l’infection et la gravité de la maladie, peut souvent fournir des évaluations rapides des modifications des caractéristiques du virus. L’étude de mutations spécifiques à l’aide de l’analyse de la relation structure à activité, qui examine comment la structure chimique du virus affecte son activité biologique, peut également fournir des indices, bien que la validation prenne souvent beaucoup de temps.
Les premières analyses de la relation structure à activité ont porté sur la relation entre trois mutations et le comportement de Delta. En particulier, une étude en prépublication, qui n’a pas encore été examinée par des pairs, suggère que trois mutations dans la protéine de pointe du SARS-CoV-2 peuvent rendre le variant plus transmissible en facilitant la liaison de cette protéine au récepteur des cellules humaines (connu sous le nom de récepteur ACE2).
Si nous reprenons l’analogie du livre, cela signifie que trois des morceaux découpés dans la version Delta du livre sont différents de l’original. Chacun de ces trois morceaux peut permettre au virus d’infecter plus facilement les cellules humaines.
Que savons-nous de l’épidémiologie du variant Delta et de ses points chauds ?
Tout porte à croire que Delta a joué un rôle important dans la vague de cas de Covid-19 observée en Inde en 2021. Depuis, ce variant s’est répandu dans le monde entier. Au 14 juin, le variant Delta a été détecté dans 74 pays, a représenté plus de 90 % des nouveaux cas au Royaume-Uni et au moins 6 % du total des cas aux États-Unis, avec des estimations allant jusqu’à 10 %.
Une grande partie de ce que nous savons sur le variant Delta provient du Public Health England. Il a été détecté pour la première fois au Royaume-Uni vers la fin du mois de mars 2021, et lié à des voyages. Au 9 juin, le nombre de cas confirmés ou probables était de 42 323, avec une distribution bien répartie dans tout le pays.
Au Canada, Delta a été détecté pour la première fois au début du mois d’avril en Colombie-Britannique.
Bien qu’Alpha soit toujours le plus dominant au pays, la croissance de Delta s’est accélérée dans de nombreuses provinces. Le nombre de cas confirmés a bondi de 66 % au Canada la semaine dernière, selon l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC). Il est maintenant présent dans toutes les provinces et au moins un des territoires.
Les données de l’Alberta indiquent que le nombre de cas double tous les six à douze jours. L’Ontario a estimé que 40 % de ses nouveaux cas depuis le 14 juin 2021 sont dus à Delta.
Le Québec est moins touché : il y aurait 35 cas du variant Delta, surtout à Montréal (21) et en Montérégie (7), selon les dernières données sur le site de l’Institut national de santé publique du Québec.
Il faut cependant noter que la prévalence de Delta est sous-estimée car un test de dépistage efficace n’a pas encore été développé.
Que savons-nous de Delta et des vaccins ?
Les premières analyses effectuées au Royaume-Uni sur l’efficacité du vaccin contre le variant Delta ont suscité un certain optimisme.
Des données provenant d’Écosse indiquent que la vaccination par AstraZeneca ou Pfizer réduit les hospitalisations et les infections, mais avec moins d’efficacité que pour le variant Alpha. Cependant, les données suggèrent que les vaccinations à deux doses avec AstraZeneca ou Pfizer ont réduit les hospitalisations de 92 % et 96 %, respectivement. La protection contre les symptômes de la maladie est réduite de 17 % pour Delta par rapport à Alpha avec une seule dose de vaccin.
La propagation du variant Delta accroit l’urgence, pour les santés publiques, d’offrir les deux doses de vaccin à l’ensemble de leur population. Cependant, les premières doses semblent offrir une protection substantielle contre les maladies graves nécessitant une hospitalisation.
Jason Kindrachuk, Assistant Professor/Canada Research Chair in emerging viruses, University of Manitoba et Souradet Shaw, Assistant Professor, Canada Research Chair in Program Science and Global Public Health, University of Manitoba
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.