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Voici pourquoi la visite du pape au Canada nous concerne tous

Le pape François.

Le pape François.

Marie-Pierre Bousquet - La Conversation

À qui s’adresse la visite du pape François au Canada, qui se déroule du 24 au 29 juillet? Marie-Pierre Bousquet, professeure titulaire, directrice du programme en études autochtones à l’Université de Montréal.


ANALYSE – En général, ces visites papales concernent en priorité les catholiques et peuvent donc être peu intéressantes pour la population en général. Avec des arrêts prévus à Sainte-Anne-de-Beaupré, au Québec, ainsi qu’à Edmonton, Maskwacis et Iqaluit, cette visite semble, dans ce cas-ci, s’adresser surtout aux Autochtones : son but est de présenter des excuses au nom de l’Église catholique relativement aux pensionnats dits «indiens».

En effet, sur les 139 pensionnats reconnus par la définition juridique de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (CRRPI), environ 60% étaient gérés par des catholiques. Il est donc logique que le principal public de cette visite soit les communautés autochtones.

Le reste de la population canadienne serait-elle donc non concernée? Je crois au contraire que l’ensemble du pays devrait se sentir visé par ce qui est en jeu. Moi-même, j’ai toutes les raisons de me sentir concernée: je suis anthropologue et je fais des recherches depuis plus de 25 ans sur la colonisation et ses impacts, le paysage religieux algonquien et les pensionnats indiens. Mais l’enjeu va bien au-delà des frontières de la recherche universitaire.

Réécrire, effacer ou juger l’histoire

Quel est cet enjeu, justement?

Il s’agit de notre rapport à l’histoire, celle de la construction d’un État qui a marginalisé les Autochtones et tenté de les assimiler dans le but de faire disparaître leurs sociétés et leurs cultures.

L’Église catholique a occupé une grande place dans cette construction, dès la Nouvelle-France. Religieux et religieuses ont fondé les systèmes éducatifs (scolaires, universitaires) et hospitaliers. Les paroisses ont structuré le réseau urbain. Les missionnaires ont œuvré, ici et là, à l’extension des voies ferrées, à la colonisation des terres. Ils ont influencé les politiques, promu l’agriculture, laissé leurs noms à de multiples toponymes à travers les villes, les provinces et les territoires. En outre, hommes et femmes aux idées de leurs époques, ils ont écrit et diffusé des opinions souvent largement partagées par leurs concitoyens, mais qui seraient aujourd’hui considérées comme inacceptables.

Nous avons deux tentations, de nos jours. La première est de se dire que l’histoire, c’est du passé. La seconde est de vouloir réécrire l’histoire, de vouloir l’effacer, ou de ne pas vouloir en hériter.

Bien des éléments du passé chrétien du Canada ne passent plus : nous sommes choqués par les préjugés et le racisme ayant infligé de nombreuses souffrances aux Autochtones. Ils continuent à en subir les conséquences à travers la transmission intergénérationnelle de ces traumatismes. Dans ce sens, l’histoire vit toujours. Que nous n’ayons plus envie de rendre hommage à des personnages qui ont eu une action dévastatrice sur les cultures et les identités autochtones est une chose.

Que nous les jugions en est une autre : comment aurions-nous agi, nous, à la même époque et à leur place? D’ailleurs, comment serons-nous jugés demain par les générations qui vont nous succéder?

Faire face honnêtement au passé

L’histoire n’est pas faite en noir et blanc : elle est complexe, tout en nuances de gris, d’erreurs, de compromissions. Les religieux ont soigné et formé les populations, protégé la langue française. Certains ont pris fait et cause pour ceux qu’ils considéraient comme leurs frères et sœurs autochtones. D’autres, au contraire, les ont violés, rabaissés et les ont empêchés de pratiquer leurs propres croyances.

Nous ne pouvons pas annuler l’histoire. L’historien français Pierre Nora écrivait, en 2006, à propos des lois mémorielles du gouvernement de la France au sujet des génocides et de la colonisation, qu’il était dangereux de criminaliser le passé et de laisser apparaître ce qu’il a appelé une « hégémonie mémorielle » : selon lui, il est important de définir une histoire collective et nationale, plutôt que de laisser place à une mémoire « essentiellement accusatrice et destructrice de cette histoire ».

Cela ne veut pas dire nier certains faits au profit d’autres. Cela veut dire se confronter honnêtement à tous les aspects de cette histoire. Notre défi est maintenant d’inclure les points de vue autochtones dans l’histoire collective, ou plutôt de créer une histoire collective avec celles de nos trois solitudes : anglophone, francophone et autochtone. Puis nous devrons la transmettre.

Le sombre rôle du gouvernement fédéral

Notre troisième tentation est de rejeter tout le blâme de l’histoire des pensionnats autochtones sur les missionnaires.

Bien sûr, ils en ont largement été les maîtres d’œuvre, à travers les diocèses et les congrégations. Leur niveau de responsabilité est élevé. Mais n’oublions pas que c’est le gouvernement fédéral qui a créé le système et l’a entretenu et que ce sont les agents des Affaires indiennes qui recensaient les enfants et les envoyaient dans les écoles résidentielles.

Ce même gouvernement, sous la pression de son Surintendant aux Affaires indiennes, Duncan Campbell Scott, a tabletté le rapport de 1907 du Dr Peter Bryce. Ce dernier enjoignait les autorités à mettre en place de manière urgente des mesures pour limiter la mortalité dans les pensionnats indiens, majoritairement due aux épidémies. Ce médecin avait remarqué qu’au pensionnat de File Hills Colony, en Saskatchewan, (opéré par les presbytériens, puis par l’Église unie du Canada), près de 70 % des enfants mouraient à cause des mauvaises conditions sanitaires. Bryce n’a pas été entendu alors qu’il préconisait des mesures aussi simples que de séparer les malades des enfants en bonne santé.

L’indifférence générale de la population

L’opinion publique ne s’est pas non plus émue du fait que ces pensionnats existaient et avaient pour but de «civiliser» ces enfants. Ainsi pouvait-on lire dans le journal Le Progrès, en avril 1957, au sujet du pensionnat d’Amos:

Leur éducation comme la nourriture et les vêtements qu’ils reçoivent sont des dons généreux du gouvernement, lequel tient à les aider à s’adapter à une vie normale dans un pays civilisé, s’efforçant de bâtir un peuple courageux et fier pour défendre ses droits essentiels.

Le bien-être mental et culturel de ces enfants n’était pas pris en considération, ni dans les pensionnats, ni ailleurs. Combien d’enfants autochtones ont-ils disparu dans le système de la protection de la jeunesse à partir des années 1960 (ce qu’on appelle le «Sixties Scoop»), et combien dans le système des soins de santé?

Il aura fallu des chercheurs, des journalistes et des commissions gouvernementales pour que les familles commencent à avoir les outils pour chercher leurs proches.

Nous héritons aussi de ce qui nous dérange

Terre de nos aïeux, ton front est ceint de fleurons glorieux ! Car ton bras sait porter l’épée, il sait porter la croix ! Ton histoire est une épopée des plus brillants exploits. Et ta valeur, de foi trempée, protégera nos foyers et nos droits.

«De foi trempée», elle est là partout, dans l’histoire du Canada. En tant que Canadiens, nous vivons avec les bénéfices que l’histoire nous a légués : un pays démocratique, libre, sécuritaire, où nous avons un système de santé universel, etc. Nous ne pouvons pas hériter que de ce qui nous arrange. Nous héritons aussi d’un pays où les Autochtones sont moins en sécurité que les autres, où ils ont été privés de libertés et de droits à la participation à la vie démocratique (ils n’ont obtenu le droit de vote fédéral qu’en 1960), où ils peuvent se sentir en danger dans le système de santé.

La reconnaissance solennelle du Pape, en terre canadienne, du préjudice collectivement subi par les Autochtones s’inscrit dans un processus de réconciliation et de réparation qui ne fait que commencer afin, véritablement, que le passé finisse. Nous devons donc profiter de cette occasion pour accepter des vérités difficiles sur notre histoire collective et, ce faisant, avancer dans la construction d’un avenir partagé.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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