Il y a 50 ans lundi, la ministre fédérale de la Santé nationale et du Bien-être social Judy LaMarsh affirmait à la Chambre des communes qu’il «existe des preuves scientifiques comme quoi fumer la cigarette contribue au cancer du poumon et peut aussi être la cause de la bronchite chronique et des maladies coronariennes». Cette prise de position du gouvernement de Lester B. Pearson marquait le début du combat contre la cigarette au Canada. Le pays a pendant longtemps été considéré comme le chef de file dans ce domaine. Mais plus maintenant.
«Ce qui est phénoménal, c’est que cette déclaration de Mme LaMarsh en 1963 précédait la publication du rapport du Surgeon General des États-Unis, en 1964. C’est à ce moment que s’est amorcée la lutte contre le tabagisme dans le monde», a indiqué la porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, Flory Doucas.
Le rapport du docteur américain Luther Therry indiquait hors de tout doute que le tabac était à l’origine des bronchites chroniques, des cancers des poumons et des maladies cardiaques, comme la ministre LaMarsh l’avait dit à la Chambre des communes l’année précédente. Il établissait aussi un lien entre la cigarette et l’emphysème ainsi qu’avec les bébés naissants de petit poids. «L’avance du Canada s’est confirmée au fil des années par plusieurs mesures qui se sont avérées être des précédents mondiaux», a mentionné Mme Doucas. Elle a notamment évoqué l’organisation des premiers Jeux olympiques sans fumée en 1988 à Calgary, l’interdiction d’exposer les produits du tabac dans les commerces de détail imposée en 2002 en Saskatchewan et l’obligation de mettre des avertissements antitabac sur 50 % de la couverture d’un paquet de cigarettes à partir de 2001.
Il pourrait aussi y avoir l’interdiction de vendre des cigarettes et des cigarillos aromatisés, mais l’industrie du tabac a réussi à contourner cette loi adoptée en 2010 par le gouvernement de Stephen Harper en ajoutant des arômes dans des petits cigares à peine plus lourds que ceux visés par le projet de loi C-32. Ottawa n’a à ce jour apporté aucun correctif à celui-ci.
Aujourd’hui, l’Australie et le Brésil ont pris les devants. Dans le premier, les emballages des produits du tabac sont standardisés. Les mises en garde couvrent 90 % de la surface d’un paquet de cigarettes. Le reste est réservé au nom du fabricant, qui est inscrit de façon extrêmement neutre. Le Brésil a de son côté décidé d’interdire l’ajout d’arôme dans tous les produits du tabac. Cette mesure entrera en vigueur en septembre prochain.
Si le Canada n’est plus un chef de file dans la lutte contre le tabac, c’est en raison des décisions politiques qui sont prises par nos gouvernements, d’après le directeur général du Conseil sur le tabac et la santé, Michel Bujold. «Ça dépend du gouvernement qui est en place et du ministre qui est responsable de la santé,
a-t-il souligné. Quand le Canada a fait des avancées, il y avait des ministres qui croyaient à l’importance d’améliorer la situation. C’était le cas de Mme LaMarsh, d’Allan Rock, de David Dingwall. Actuellement, on sent moins cette volonté d’agir.»
Flory Doucas a tenté de son côté d’expliquer la perte de vitesse du Canada par le fait que les produits du tabac ne sont plus visibles et que les non-fumeurs sont davantage protégés de la fumée secondaire. «Le dossier du tabagisme est victime de son succès, a-t-elle dit. Les gens pensent que le problème est réglé alors qu’il y a une industrie qui pousse en faveur du tabagisme.» Au Québec, il y a près de 1,5 million de fumeurs.
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L’analyste principal des politiques à la Société canadienne du cancer, Rob Cunningham, convient que le Canada pourrait être davantage proactif dans la lutte contre le tabac. Il avance toutefois que les lois canadiennes sont plus sévères que celles de plusieurs autres pays. «Les mises en garde qui couvrent 75 % des paquets de cigarettes sont parmi les plus grosses du monde, et les interdictions de fumer dans les lieux publics sont très fortes», a-t-il fait savoir.
Les nouvelles stratégies de l’industrie du tabac
L’industrie du tabac mise désormais sur ses produits pour augmenter le nombre de fumeurs puisqu’elle ne peut plus faire de campagnes de publicité. D’après Flory Doucas, la porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, elle offre ses cigarettes dans des emballages attrayants qui s’apparentent à des boitiers de iPod ou de rouge à lèvres. Elle ajoute aussi des saveurs à ses produits, ce qui fait que leur goût est moins amer. De nouveaux produits sont également conçus, tels que des bonbons au tabac, des sachets de tabac à chiquer ou même des cigarettes dont la dose de menthol est contrôlée par le fumeur.
Pour contrecarrer les nouvelles stratégies de l’industrie du tabac, il est urgent, selon la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, de légiférer sur les emballages, d’interdire les saveurs dans tous les produits du tabac et de décréter un moratoire sur tous les nouveaux produits. Le Conseil québécois sur le tabac et la santé croit qu’il faut aussi proscrire la consommation de tabac dans des lieux publics comme les terrasses et les aires de jeux. Reste à voir ce que feront les gouvernements. Le ministre de la Santé, Réjean Hébert, a déjà promis de durcir la Loi sur le tabac.
Devant les tribunaux
L’industrie du tabac fait l’objet de deux recours en justice.
- Une demande de recours collectif a été faite en 1998 par le Conseil québécois sur le tabac et la santé. Il vise à indemniser les personnes souffrant d’emphysème ou ayant été atteintes d’un cancer des poumons, de la gorge ou du larynx. Il a été autorisé en 2005. Jusqu’à présent, la preuve de la poursuite a été présentée. Le verdict est attendu dans environ un an et demi.
- Le gouvernement du Québec a annoncé en juin 2012 qu’il poursuivait l’industrie du tabac pour 60 G$. Il veut ainsi récupérer les coûts de santé liés au tabagisme