(Boston, Mass.) C’est précisément dans le champ centre du Fenway Park – rien de moins que le paradis – que j’écris cette chronique. Sans blague. Dans ce qui fut jadis l’enclos de réchauffement pour les frappeurs, on a ouvert un bar qui donne directement sur le terrain des Red Sox. Y sont comme ça à Boston : là où le bonheur peut prendre sa place, on s’organise pour le rendre accessible à tous.
Ce qui me ramène au 15 avril dernier. On imagine que le bonheur devait littéralement débouler sur Boylston Street alors que, sous l’œil admiratif de tout un chacun, les héros du jour franchissaient le fil d’arrivée du Marathon de Boston. Jusqu’à ce qu’une bombe pète en faisant éclater la beauté de la chose et en pulvérisant une autre parcelle de naïveté, une chose qui commence à manquer cruellement à l’être humain moyen.
Quelques mois plus tard, la vie a repris ses droits là où l’horreur s’est imposée sans y être invitée. Quand on passe devant les terrasses fraîchement rouvertes du resto Forum et du Starbuck, on entend un drôle de silence. Un silence compact, épais comme ça. Assez lourd pour écraser l’explosion du gros pétard, les cris des blessés et l’insupportable plainte des sirènes qui accompagnent toujours le pire.
Ce silence, il me rappelle le bruit blanc qui balaie le site de Ground Zero depuis le 11 septembre 2001. Du genre qui vous fout une boule dans l’estomac. Et qui vous envoie plein d’images. À côté d’un petit arbre fraîchement planté, suffit de fermer les paupières ne serait-ce qu’une micro-seconde, pour que la grande flaque de sang réapparaisse. Immédiatement, choqué par tant de laideur, on rouvre les yeux pour se projeter de force dans le présent. Une chance qu’il existe, lui, le présent. Parce que l’avenir, malgré tous ses mystères, ne pourra jamais totalement faire fi de ce qui est arrivé par un lundi de printemps ensoleillé.
Aujourd’hui, là où le monstre a frappé, un monsieur boit tranquillement son grand latté pendant qu’à la table d’à côté, deux filles jasent en prenant leurs textos. Comme il le fallait, la suite des choses a repris son cours. Mais, malgré tout ce qu’on a fait pour effacer les traces du passé, il reste une tache plus tenace dont tous les frottages à l’acide ne pourront jamais venir à bout. C’est celle maintenue par l’impitoyable puissance du souvenir. Quand on regarde par terre, on a beau vouloir se convaincre du contraire, il reste encore un reflet rouge sur le trottoir. Encore une fois, on ne s’en sauvera pas…
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Le matin même de ma visite, dans l’édition locale du journal Métro (là-bas, ils en ont une aussi, les chanceux), je lisais l’histoire d’une fille qui consacre sa vie à la défense de Dzhokhar Tsarnaev, l’un des deux présumés auteurs de l’attentat.
Totalement dédiée, mes amis, c’en est absolument troublant. Une passion aveugle digne de la pire des groupies. Qui m’a fait penser à celles qui espèrent toujours épouser Jim Morrison quarante ans après sa mort ou encore, aux bienheureux qui s’affichent fièrement avec un t-shirt à l’effigie de Charles Manson, un triste bum qui a convaincu une couple de têtes brûlées de faire son œuvre «de purification» à sa place.
Le monde est imparfait…
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.