«Tout le monde est malheureux. Tam ti di li ti dam. Tam ti di li ti dam. Tout l’temps. Tout l’teeemps!» L’air joyeux de la toune ne trompe personne: tout en riant à gorge déployée, Vigneault chantait les tribulations des humains dans notre course au bonheur.
Au retour de mes vacances au bord d’un lac, j’ai envie de chanter avec le même sourire ironique dans la voix: «Tout le monde est occupé. Tam ti di li ti dam…»
Les vacances sont pour beaucoup d’entre nous un temps d’arrêt. Au retour à la vie «normale», le contraste nous cogne. La cadence rapide de la routine quotidienne reprend le dessus, la broue fait son retour dans le toupet.
Pourtant, nous travaillons aujourd’hui moins d’heures qu’il y a 100 ans. Ne devrions-nous pas avoir la sensation que nous avons de plus en plus de temps, pas moins?
Le sociologue allemand Hartmut Rosa consacre ses recherches à comprendre cette mécanique épuisante qui domine chaque aspect de notre vie. D’après lui, l’accélération du temps est engendrée par les exigences de notre système économique. Pour qu’il y ait de la croissance, il faut produire toujours plus de biens, d’idées, de richesse, d’innovation. Pour en produire toujours plus, il faut aller plus vite. Cette accélération constante est le gage de la stabilité de notre société.
Parmi les conséquences de ce phénomène contemporain, on peut citer l’explosion de l’anxiété et de la dépression chez les individus. De plus en plus de travaux en psychologie sociale confirment qu’à l’origine de ces maux, il y a la sensation que nous n’avons pas de prise sur un monde qui file à vive allure.
Une autre conséquence, collective, c’est que l’accélération du temps éreinte le processus démocratique. Le dialogue, la concertation, l’étude et la réflexion menant aux meilleures décisions, tout cela prend du temps.
Dans un monde en pénurie perpétuelle de temps, ces processus sont souvent escamotés. Et alors, c’est la démocratie qui devient anxieuse et déprimée!
Peut-on arrêter cet emballement? Il faudrait d’abord le vouloir. Mais il est bien difficile d’imaginer un autre système que celui qui régit notre monde. Et lorsque le corps humain ne pourra plus supporter les pressions qu’exerce sur lui notre mode de vie, nous bidouillerons peut-être une solution biotechnologique qui nous permettra de dépasser nos limites naturelles afin d’aller encore plus vite.
Entre-temps, «décrocher» périodiquement est une solution pour ceux qui peuvent se payer ce luxe, temporaire mais salutaire.
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.