François Pétry, directeur du programme de sciences politiques à l’Université Laval, à Québec, mesure depuis 20 ans le taux de réalisation des promesses électorales au Québec et au Canada. Verdict: les politiciens réalisent la majorité de leurs engagements. Alors que, selon un sondage de Léger marketing effectué en 2013 pour le compte du Journal de Montréal, seulement 12% des Québécois font confiance aux politiciens, Métro a tenté de faire le point sur cette contradiction.
À un an de la fin de son troisième mandat, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a réalisé un peu plus de 68% des promesses qu’il a faites lors de la dernière campagne électorale, selon le polimètre, un outil mis au point par M. Pétry et son équipe de chercheurs de l’Université Laval. Le même outil permet de voir que, moins de six mois après son élection, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, est déjà en voie de réaliser 35% de ses promesses électorales.
«C’est en contradiction avec l’opinion publique, qui est que les politiciens sont des menteurs invétérés, lance M. Pétry. Si on se base sur l’évidence que nous trouvons, c’est difficile de dire que les politiciens sont des menteurs.»
Pour expliquer ce décalage, M. Pétry avance que, depuis 20 ans, les partis politiques misent de plus en plus sur de petites promesses facilement réalisables, plutôt que sur des grands engagements.
«Dans toutes les plateformes électorales, vous allez voir un paquet de promesses qui sont immédiatement réalisables, où le parti s’engage à les réaliser dans les premiers 100 jours au pouvoir. Ce sont des promesses qui ne demandent pas grand chose pour être réalisées», juge-t-il.
Voici quelques points de vue sur le sujet:
- La nature des promesses
Pour Harold Chorney, professeur de Sciences politiques à l’Université Concordia, l’important n’est pas tant le taux de promesses brisées, mais leur nature. Ce sont les promesses non-tenues dans les grands enjeux qui ont le plus affecté l’imaginaire collectif.
«Si vous prenez les enjeux les plus cruciaux de la société – le budget, l’économie, la santé, l’éducation – des choses auxquelles les gens tiennent beaucoup, on peut voir que les politiciens ont très souvent renié à leurs promesses. C’est peut-être un petit nombre de promesses brisées, mais c’est assez pour faire mal à la confiance de la population», affirme-t-il.
«Regardez ce qui se passe avec Philippe Couillard, qui impose maintenant une politique d’austérité. Il n’a pas été élu sur les bases d’une plateforme d’austérité; il n’en a pas parlé, illustre-t-il. Il ne faut pas se surprendre que les gens soient mécontents.»
- Aux grands projets les grands moyens
Si les politiciens ne promettent plus de grandes réformes ou de gros projets, c’est qu’ils n’en ont plus les moyens, croit Michel Sarra-Bournet, chargé de cours en histoire, science politique et études québécoises à l’université du Québec à Montréal.
«L’ère des grandes réformes et des grands projet a laissé sa place à une ère de restrictions budgétaires. À tort ou à raison, les gouvernements et les partis renvoient l’idée qu’il faut baisser les impôts [et donc les revenus de l’état], et à partir de ce moment là, ils n’ont plus les moyens de faire grand chose», dit-il.
Nous sommes donc loin de l’ère des Pierre Elliot Trudeau ou René Lévesque, qui ont tous deux apporté des réformes mjeures. «Ces gens avaient une vision de destin collectif, qu’on soit pour ou contre, et ils prenaient les moyens pour l’exécuter, alors que ce n’est plus possible aujourd’hui», lance-t-il.
- Les défis de la mondialisation
Un politicien peut bien vouloir changer de fond en comble la société, toujours est-il que les nouvelles réalités de la mondialisation peuvent souvent lier les mains de la classe politique, peu importe les orientations politiques, croit M. Chorney.
«La mondialisation et les traités de libre-échange complexifient la vie des politiciens puisque, quand ils vont à des forums internationaux, ils subissent beaucoup de pressions et de lobbying de la part d’acteurs internationaux, lance-t-il. Nous faisons affaire avec la Chine et la Russie, entre autres; ce ne sont clairement pas des démocraties. Forcément, par la pression politique, certaines de leurs valeurs sont transmises ici.»
M. Chorney ne blâme pas tant la classe politique, qui a peut-être à priori de bonnes intentions. «Ce millieu attire bien des gens très intelligents et passionnés pour le changement, mais ils se rendent compte très vite qu’il est difficile d’accomplir des virages majeurs», se désole-t-il.