Mon travail à l’Institut du Nouveau Monde m’a appris l’importance de l’indignation: elle est l’éveil de la conscience. Mais elle ne suffit pas. L’indignation seule, au mieux, est moralisante et, au pire, elle mène au cynisme. L’ingrédient qui tempère l’effet paralysant de l’indignation, c’est l’espoir. Avec lui, l’indignation devient un moteur d’action.
Les artistes, les militants, les entrepreneurs sociaux et les citoyens qui mènent des projets ou s’engagent pour faire avancer des idées le font parce qu’ils ont la conviction qu’ils peuvent agir sur le monde, le transformer pour qu’il reflète un peu plus leurs valeurs, leurs idéaux. Ils espèrent.
C’est bien tentant de prendre le désespoir comme posture de lucidité. Je me bats continuellement contre ce réflexe de croire des situations qui m’indignent impossibles à améliorer. Pour m’aider, je m’accroche aux bonnes idées, à celles qui peuvent éclairer notre chemin, rallumer notre feu.
En 2014, une nouvelle bonne idée est venue ressusciter une ancienne bonne idée. L’économiste français Thomas Piketty a fait tout un tabac en démontrant que les plus riches, ceux qui détiennent du capital, s’enrichissent à une vitesse bien plus grande que ceux qui travaillent pour gagner leur pain. Ce phénomène a cours dans la plupart des pays occidentaux depuis plus d’un siècle et a été alimenté par la montée en flèche de la spéculation financière. La solution que Piketty propose: taxer le capital. Cette solution a un seul défaut, et il est majeur: elle est impossible à mettre en œuvre. Elle nécessiterait un degré de coordination que l’oligarchie mondiale bloquerait à tous coups.
Mais cette idée de Piketty a deux énormes mérites: elle nous incite à chercher des solutions audacieuses pour réduire l’explosion de l’inégalité. Et elle nous rappelle qu’une bonne idée existe déjà depuis bien longtemps, une idée bien plus facile à mettre en œuvre: taxer les transactions financières. Ce sont elles, après tout, qui permettent aux détenteurs de capital de faire fructifier leurs avoirs à un rythme bien plus rapide que n’augmentent les salaires. C’est l’économiste John Maynard Keynes qui en a eu l’idée le premier, au début du siècle dernier. Elle a été réactivée en 1972 par le lauréat du Nobel d’économie James Tobin. Et enfin, l’Union européenne souhaite la mettre en œuvre en 2016. Il y a de la résistance, mais l’idée fait lentement son chemin.
En voyant cette ancienne bonne idée se concrétiser enfin, je me rappelle à quel point la persévérance est, en plus de l’espoir, un ingrédient essentiel de l’engagement. Je le constate chez les écologistes, chez ceux qui travaillent pour que notre société soit plus juste, chez ceux qui se battent pour que les humains soient plus… humanistes. Et chez tous ceux qui œuvrent à contre-courant.
Voilà ce que je vous souhaite pour 2015: un heureux mélange d’indignation, d’espoir et de… patience.
Cette chronique est ma dernière signée au nom de l’Institut du Nouveau Monde. Je serai de retour dans les pages de Métro à compter de la fin février. Bonne année!
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.