TORONTO – Les deux hommes accusés d’avoir voulu faire dérailler un train de passagers entre New York et Toronto avaient été interpellés par la police alors qu’ils faisaient du repérage sur le terrain afin de trouver le meilleur endroit pour commettre leur attentat.
Raed Jaser et Chiheb Esseghaier sont accusés de plusieurs chefs liés au terrorisme. Au procès, à Toronto, la Couronne fait entendre depuis quelques jours des conversations enregistrées à l’insu des accusés par un agent d’infiltration de la police fédérale américaine (FBI) qui avait gagné leur confiance.
Dans l’un de ces enregistrements, entendu au procès mardi, on entend les trois hommes interrompus dans leurs recherches par trois policiers, alors qu’ils marchent près d’un pont ferroviaire. Après un bref interrogatoire de routine, un des policiers les invite gentiment à ne pas marcher sur la voie ferrée, et repart.
Jaser conclut alors que cet endroit est maintenant compromis, et traite ses présumés complices de «stupides» parce qu’ils n’ont pas suivi sa directive de demeurer discrets.
Esseghaier suggère alors de s’en tenir au plan initial, mais Jaser estime qu’il vaudrait mieux trouver autre chose — par exemple, confier à un tireur d’élite la mission d’abattre de riches Juifs de Toronto, ce qui aurait plus d’impact qu’un déraillement de train. «Je peux travailler là-dessus. On peut partir à la chasse. La tête du serpent est ici», dit Jaser à l’agent d’infiltration.
Plus tôt, Jaser avait déjà fait la promotion de son plan. «Tu penses que (les autorités) se fichent de 50 passagers d’un train ? Elles s’en fichent royalement. Mais des riches Juifs, si tu en tues 50, on va les rendre dingues.»
Esseghaier soulève des doutes sur ce plan, qui manque de détails, selon lui. «Comment ? Nous sommes faibles. On n’est pas équipés pour descendre ces vieux. As-tu une arme ? Tu n’as même pas de (…) tireur.»
Jaser affirme aussi qu’ils ne sont pas tenus de suivre à la lettre les directives qu’Esseghaier a reçues de ses contacts djihadistes à l’étranger, parce que la réalité sur le terrain au Canada est bien différente. «On peut réussir mais nous devons le faire de notre façon. Pas de la leur. Nous sommes au Canada, pas à Kandahar, comprends-tu ? La situation est différente ici.»
La discussion s’envenime. «Trouve quelqu’un d’autre. C’est ce que je te dis: je ne peux plus t’aider, lance Jaser, excédé. Le plan n’est plus bon, selon moi. Il est compromis, selon moi.»
Jaser veut toujours convaincre Esseghaier de modifier le plan. «Il y tellement de choses qu’on peut faire dans ce magnifique endroit. Il faut faire ce qui est juste de faire.»
Son présumé complice s’agite alors. «Tu as peur d’aller en prison», réplique-t-il avant d’ajouter qu’il trouvera un autre «croyant» pour commettre l’attentat. «On ne veut pas des gens qui ont peur. On veut des gens qui n’ont peur que d’Allah.»
Jaser l’accuse alors d’être irréfléchi. «Ce n’est pas une question d’aller en prison. C’est une question de réussite. Il y a une différence.»
Plus tard, comme il n’est pas parvenu à faire changer d’avis Esseghaier, Jaser se retourne vers l’agent infiltrateur. «Notre problème est que nous tentons d’aller trop vite. Nous sommes compromis. Nous ne devons plus viser les voies ferroviaires.»
Les deux coaccusés, arrêtés en avril 2013, ont plaidé non coupable aux accusations. Chiheb Esseghaier, d’origine tunisienne, travaillait à Varennes, en Montérégie, à l’Institut national de la recherche scientifique, alors que Raed Jaser habite Toronto.