Dans l’autre pan de ma vie professionnelle, depuis deux ans, j’anime des tribunes de nuit à la radio. S’il y a une chose que je sais maintenant à propos de celles-ci, c’est qu’il est virtuellement impossible de prévoir quelle sera la tendance du débat de la soirée avant d’entrer en ondes. Suffit d’un appel…
Dans les médias, on revient régulièrement sur la situation des personnes âgées qui résident dans des centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD). Généralement, c’est l’horreur. Mais à côté de ceux et celles qui sont malheureusement rendus là, il y a les autres, qui vivent dans des résidences pour personnes autonomes ou semi-autonomes. Des gens que l’on dit sans histoire. Enfin, presque…
L’autre soir, c’est une femme parfaitement autonome et tout à fait équilibrée qui s’est manifestée dans la tribune. Rien à redire sur son petit appartement qui, lui, semblait tout à fait correct. Sauf que, pour la bouffe servie à la cafétéria, vu son forfait «tout inclus», ouille… «Des sandwiches au baloney et des hot-dogs, on en mange, pis souvent à part de ça», qu’elle a confié. Une exception, que je me suis dit sur le coup. Erreur. La suite des appels fut consternante. Hors des ondes, des employés de ces centres qui voulaient conserver leur anonymat – et leur job – ont confirmé ces dires. J’ai pogné quelque chose, comme dirait l’autre. Moi qui, bien naïvement, avais jusque-là cru qu’en échange d’un déboursé mensuel de 1 500 $, et même davantage, on devait bien être en droit de s’attendre au meilleur. Ça a l’air que non.
C’est surtout ce qui est sous-jacent à tout cela qui m’est rentré dedans. Je parle de l’impossibilité virtuelle de se plaindre auprès des directions de ces centres ou de toute autre instance gouvernementale. Parce qu’être vieux, même quand on est relativement en bonne forme, c’est être néanmoins fragile. Et dépendant d’un peu tout le monde. Hantés par la peur d’être perçus comme des chialeux ou des rebelles et d’avoir à en payer le prix, les aînés choisissent souvent de se taire. À preuve, une autre dame m’a raconté que dans son foyer, un locataire était instantanément devenu une «mauvaise fréquentation» pour le reste du groupe parce qu’il avait osé se plaindre à voix haute de la qualité douteuse de ce qu’on lui servait régulièrement dans son plateau. «Plus personne ne veut être associé à lui. Même s’il a dit tout haut ce que tout le monde gardait en dedans.»
On imagine que, rendu à cet âge-là, la dernière affaire dont tu dois avoir envie, hormis d’être projeté dans l’isolement par tes pairs, c’est de paqueter tes boîtes et d’avoir à déménager. Et surtout d’avoir à tout recommencer dans une nouvelle résidence en portant l’étiquette du faiseur de troubles officiel parce que ça a mal viré dans ton ancienne place.
Alors, tu fais quoi? Tu endures en silence en gardant un profil bas. En mettant un peu de relish et de moutarde dans ton hot-dog, ils disent que ça passe mieux.
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À voir : JACO, un documentaire formidablement bien étoffé sur la vie et l’œuvre du bassiste Jaco Pastorius. Un autre virtuose, décédé à l’âge de 35 ans, bouffé tout rond par une bipolarité qui l’a promené entre les plus grandes scènes du monde et l’itinérance. Dès vendredi au Cinéma du Parc.