MONTRÉAL – Le père Benoît Lacroix, un passionné du Moyen-Âge et des religions populaires, s’est éteint dans la nuit de mercredi à l’âge de 100 ans.
Les Dominicains du Canada ont confirmé en matinée par voie de communiqué que le religieux était décédé. Il est mort des suites d’une pneumonie «courte, mais sévère», selon Louis Aucoin, porte-parole des Dominicains.
En entrevue avec La Presse Canadienne, le père André Descôteaux, prieur provincial des Dominicains pour le Canada, s’est désolé de perdre «un homme qui aimait les gens» qui a été «une lumière pour tant de personnes».
«Il a été une lumière. Pas qui nous éblouit, mais qui nous éclaire puis qui nous réchauffe et nous accompagne», a-t-il illustré.
«C’était un homme tout simple avec nous. C’était un frère parmi d’autres frères», a-t-il ajouté.
De passage à Vancouver, le premier ministre Philippe Couillard a salué ce «grand intellectuel qui aura marqué le Québec».
«C’est quelqu’un qui vivait avec beaucoup de grâce et on va ressentir sa perte pendant longtemps», a commenté le premier ministre Justin Trudeau, qui était lui aussi à Vancouver.
Le maire de Montréal, Denis Coderre, a également reconnu la sagesse, l’humanité et les talents de communicateur du père Lacroix, soulignant qu’il laissait en héritage «un enseignement d’une grande richesse, empreint de tolérance pour l’autre et d’optimisme».
Théologien, enseignant et historien, le père Benoît Lacroix était un humaniste, un passionné du Moyen-Âge, des traditions et des religions populaires. Il était souvent invité à la télévision et à la radio, tantôt pour expliquer avec intelligence et sensibilité le rite chrétien lors de funérailles nationales, tantôt pour accompagner l’auditeur moins pratiquant dans les dédales de la procédure vaticane.
À l’émission «Second regard», à la télévision de Radio-Canada, ses interventions, profondes mais limpides, étaient toujours écoutées avec respect, que l’on soit chrétien ou non.
Il vivait au couvent des frères dominicains Saint-Albert-le-Grand, dans le multiethnique quartier Côte-des-Neiges, à Montréal. Il avait dû renoncer au tennis à 80 ans… parce que ses adversaires n’osaient plus l’affronter, de peur qu’il ne se blesse.
Né le 8 septembre 1915 au sein d’une famille d’agriculteurs à Saint-Michel-de-Bellechasse, Joachim Lacroix étudie la théologie, l’histoire et les lettres, et obtient une licence en théologie à l’Université d’Ottawa en 1941. Il fut ordonné prêtre la même année, adoptant le prénom religieux de Benoît donné par sa famille dominicaine. Il obtiendra en 1951 un doctorat en sciences médiévales de l’Institut pontifical des études médiévales, à Toronto, et il a aussi fait des études post-doctorales à l’École pratique des Hautes-Études à Paris, puis à Harvard.
Pendant près de 40 ans, le prêtre dominicain s’est ensuite consacré à l’enseignement, à l’Institut d’études médiévales de l’Université de Montréal, qu’il a d’ailleurs dirigé de 1963 à 1969. Il a aussi été professeur invité aux universités de Kyoto, au Japon, de Butare, au Rwanda, et de Caen, en France, sans compter l’Université Laval à Québec.
Il a fondé à Montréal le Centre d’études des religions populaires en 1967 et a travaillé comme chercheur associé à l’Institut québécois de recherche sur la culture. Il a soulevé et défendu l’hypothèse voulant que la culture populaire des Canadiens français aurait été héritée directement du Moyen-Âge.
Entre autres hommages, en 1971, il a été nommé au sein de la Société royale du Canada, de laquelle il a aussi reçu la médaille Chauveau en 1980. Il a également reçu le prix Léon-Gérin en 1981, la plus haute distinction attribuée par le gouvernement du Québec dans le domaine des sciences humaines. Il a été fait officier de l’Ordre du Canada en 1985.
En 1990, l’Université de Sherbrooke lui a remis un doctorat honorifique. Il est aussi membre de l’Académie des sciences morales et politiques du Québec. Il a été fait Chevalier de l’Ordre national du Québec en 1991, puis Grand Officier en 1996.
Le père Lacroix a été l’auteur de nombreux ouvrages sur la pensée, la culture et la science au Québec. Il a publié son premier ouvrage en 1959, «Pourquoi aimer le Moyen-Âge». Parmi ses autres ouvrages importants, on note «La Religion de mon père» (1986) et «La Foi de ma mère» (2001).
Le sociologue Fernand Dumont disait du père Lacroix qu’il «sait concilier de manière absolument remarquable sa contribution à la culture savante et son affinité avec les gens des milieux populaires. Cette présence aux deux extrémités de la culture, sans fausseté, sans artifice, est tout à fait exceptionnelle».
Revenu soudainement — et momentanément — dans l’actualité lors de son centième anniversaire, en septembre 2015, le père Lacroix a étonné bien des jeunes athées ou agnostiques par sa modernité, son ouverture vers l’autre et son esprit critique, notamment face à sa propre Église.
«Je n’ai aucune idée si je suis progressiste ou arriéré, disait-il alors au quotidien Métro. Devant une personne à qui il arrive toutes sortes de choses et qui t’en parle comme si tu étais son frère, qu’est-ce que tu fais? Tu l’écoutes et tu l’aimes. Ce n’est pas le temps de dire: ‘fais pas ça’.»
De son nouveau pape François (et il en a connu quelques-uns), le père Lacroix appréciera surtout le fait qu’«il ne moralise pas pour rien».
«Je voyais que les papes n’en finissaient pas d’être contre l’avortement, de le répéter en citant le pape précédent… Ça m’énervait. Lui (François), il parle de l’importance de la vie, c’est tout.»
Et de son Église, il dira encore, au journal Métro: «On voulait tellement avoir raison qu’on a commencé à faire peur aux gens. Si on fait peur aux gens, on n’est pas dans la bonne religion».