Présenté au Cinéma du Parc jeudi dans le cadre des projections RIDM+, Putin’s Witnesses, de Vitaly Mansky, chronique l’accession au pouvoir de l’actuel président russe. Et pose une délicate question: à quel moment un témoin devient-il un complice?
Le 31 décembre 1999, Vitaly Mansky et sa famille se préparent à fêter. Ils enfilent perruques, fausses barbes, faux nez et chapeaux. Ils semblent joyeux à l’idée de célébrer l’arrivée de l’an 2000. C’est sans compter l’apparition soudaine de Boris Eltsine à la télévision, qui annonce, à la surprise générale, sa démission. «Je veux vous demander pardon… J’ai fait tout ce que j’ai pu…»
La femme de Vitaly Mansky perd ses moyens. «C’est horrible! Qui va s’adresser à la nation à minuit, alors? Poutine?!» Oui, Poutine.
C’est sur cette scène intime que s’ouvre Putin’s Witnesses, de Vitaly Mansky. Une scène qui donne le ton à l’ensemble du documentaire, duquel la famille du cinéaste sera pourtant absente. Ce seront plutôt d’autres familles qui seront mises à l’avant-scène. Celle d’Eltsine. Celle, politique, de Poutine.
À l’époque, Vitaly Mansky était documentariste pour la télévision nationale russe. Il avait été mandaté pour tourner un film sur le candidat choisi par Eltsine pour lui succéder. Le plan était simple: porté par un vent favorable, ledit candidat se présenterait aux élections trois mois plus tard et les remporterait. Ce qui fut fait.
Aujourd’hui exilé en Lettonie, Vitaly Mansky revient sur les images captées alors et les analyse à la lumière de la situation actuelle. Mais, le plus souvent, ces images, il les laisse parler.
Comme ce soir décisif, où une fois le succès de son protégé confirmé à la télé, Boris Eltsine s’exclame que cette victoire, c’est aussi la sienne. Mansky braque alors sa caméra sur l’ex-président, qui attend le coup de fil du gagnant. Il va arriver ce coup de fil, d’une seconde à l’autre. Il en est certain. Mais le téléphone reste muet. La déception se dessine sur son visage, son regard se trouble. Sa fille et conseillère, Tatiana Diatchenko, tente de le rassurer maladroitement: «Vladimir Vladimirovitch doit être en train de prendre un bain. C’est sûr qu’il est dans son bain.»
Se raplombant un peu, son père remercie ses invités. Spasiba, spasiba. Et déclare que cette élection, celle de Poutine, marque «l’arrivée d’une période de liberté et d’indépendance – pour la Russie, comme pour ses médias».
Autre moment fascinant du documentaire, celui où Poutine déclare qu’il ne participera pas au débat télévisé, car «c’est de la pub, et on n’a pas besoin de savoir pendant la campagne électorale qui, de Tampax ou de Snickers, est le meilleur». Quelques scènes plus tard, il remercie son équipe électorale… d’avoir conçu de si bonnes pubs pour les panneaux d’affichage et la télé.
Rôles inversés
En 2015, Vitaly Mansky faisait paraître Under the Sun, un documentaire stupéfiant sur la vie en Corée du Nord. Il y révélait les efforts déployés par les autorités pour tenter de faire croire à une fausse vie, à un faux bonheur, à une fausse félicité sous le régime des Kim. Le tout joué par des acteurs.
Ici, Vitaly Mansky montre que c’est lui qui a fait de la mise en scène. Lui qui a suggéré à Vladimir Poutine de tourner des «retrouvailles-surprises» avec son ancienne professeure d’école. Lui qui a proposé que la dame l’attende chez elle, à Saint-Pétersbourg, la main sur le cœur, pour recevoir de sa part un bouquet de roses trois fois plus gros que sa tête. Cela ne pouvait qu’émouvoir les électeurs, avait alors avancé le cinéaste.
Des pépites de ce genre, ce documentaire sans artifices, sobre, parfois froid, en comporte plusieurs. Poutine qui explique pourquoi il a réhabilité l’hymne soviétique. Qui se désole de ne pas pouvoir sortir de sa voiture pour aller boire une bière. Qui prend la pose, le veston négligemment jeté sur l’épaule.
Jusqu’à cette consigne du photographe, qui prie le président russe: «Fermez les yeux, puis regardez-moi avec bienveillance. Avec toute la bienveillance dont vous êtes capable.» Allez.
Putin’s Witnesses est présenté jeudi à 19h au Cinéma du Parc, en version originale russe avec sous-titres anglais. La projection est organisée par les Rencontres internationales du documentaire de Montréal, dans le cadre de la série mensuelle RIDM+.