Culture

«Les fleurs oubliées»: bouquet écologique et psychédélique

Les fleurs oubliées

Les fleurs oubliées

De l’hydromel cosmique qui en fait voir (et vomir!) de toutes les couleurs, le retour d’entre les morts d’un frère Marie-Victorin trouvant le ciel «plate à mourir», un agronome qui vit en ermite, la revanche de travailleurs agricoles étrangers contre Transgénia (pour ne pas dire Monsanto), des bourgeoises de la Rive-Sud, des punks montréalais… Malgré sa forte dose de fantaisie, l’éclaté et éclatant film Les fleurs oubliées, signé André Forcier, est on ne peut plus ancré dans la réalité.

À 72 ans, celui qu’on surnomme affectueusement «l’enfant terrible du cinéma québécois» n’a pas fini d’en mettre plein la vue avec son univers singulier empreint de poésie et de réalisme magique. Depuis plus de 50 ans, André Forcier donne tout son sens à l’expression «magie du cinéma». 

«Des gens s’y font et d’autres sont un peu troublés quand tu t’écartes de la réalité, réfléchit à haute voix le monument du cinéma québécois. Mais on ne s’écarte pas de la réalité par le réalisme magique, on la transcende. Et puis, malgré ce réalisme magique, ce film est plus vrai que vrai. Mais le monde voit de l’onirisme partout… Vous, trouvez-vous que le film est trop onirique?»

Au contraire, on trouve que l’univers surnaturel du cinéaste est ici mis au service de réalités exceptionnellement d’actualité: l’urgence climatique, le capitalisme sauvage, la croissance des inégalités sociales. 

Le film, qui devait au départ s’intituler La beauté du monde, a finalement été baptisé Les fleurs oubliées, du nom de l’hydromel produit par l’apiculteur Albert Payette (Roy Dupuis) à partir de semences que lui a ramenées de l’au-delà le frère Marie-Victorin (Yves Jacques).

Si le titre de l’œuvre a changé, c’est notamment à cause de/grâce à Renaud Pinet-Forcier, un des fils du réalisateur et co-scénariste du film. «Un moment donné, il a ramassé une gang de jeunes de son âge chez nous qui m’ont dit: “M. Forcier, on n’aime pas votre titre!”», raconte le cinéaste. Cela dit, Les fleurs oubliées n’est en aucun cas un compromis, assure-t-il.

«C’est rempli d’espoir comme titre, souligne François Pinet-Forcier, frère de Renaud et fils d’André, qui a co-réalisé ce long métrage avec son père. Les fleurs oubliées, ça représente aussi tous les marginaux qui sont dans ce film, que ce soient les punks, l’ermite agronome et tous les gens qui sont un peu révolutionnaires.»

Tout comme son titre, le film en entier est porteur d’espoir, bien qu’il prenne sa source dans un contexte d’éco-anxiété. «C’est crissement bon ce qu’on a fait. C’est crissement beau. C’est rempli d’espoir. Quand on sort du visionnement, on n’est pas à terre. On est plusieurs générations à avoir travaillé sur ce film, et je pense que ça peut toucher du monde de plusieurs générations», avance François Pinet-Forcier, véritablement fier du résultat.

«On voulait parler avec humour de ces problèmes, on ne voulait pas ennuyer le monde», ajoute André Forcier. 

Décrit comme une fable écologiste, terme qui chicote quelque peu le cinéaste – «Fable, fable… C’est quand même une comédie dramatique», dit-il –, Les fleurs oubliées découle des préoccupations environnementales et sociales de la famille Forcier.

«Si on n’était pas éco-anxieux, on n’aurait pas fait ce film.»

Andé Forcier, cinéaste

Le père et le fils le répètent à plusieurs reprises en entrevue: ils ont voulu réaliser un film engagé sans pour autant donner de leçon aux spectateurs. «On était conscientisés et on a vargé dans cette direction. On ne voulait pas faire un film équivoque», résume André Forcier.

Coïncidence, la sortie en salle de ce 15e long métrage de Forcier survient à la fin d’une campagne électorale au cours de laquelle l’environnement a été un enjeu central, ainsi que quelques semaines après d’importantes manifestations pour le climat. «Je n’avais pas mesuré tout le barouf sur Monsanto en écrivant le film, ajoute le cinéaste. Soudainement, ça devient un film extrêmement actuel.» 

Des personnages plus grands que nature

Pour créer le florilège de personnages hauts en couleur qui habitent Les fleurs oubliées, l’équipe de scénarisation – composée d’André Forcier, de sa femme et productrice Linda Pinet, de ses fils Renaud et François ainsi que de son cousin Jean Boileau – s’est inspirée directement de ses interprètes. 

Ainsi, Émile Schneider, tout comme son personnage au grand écran, a réellement pris part à l’installation de ruches sur des toits à Montréal. 

Pour le personnage principal, il allait de soi d’écrire un rôle en phase avec les convictions écologiques bien connues de Roy Dupuis. «L’idée de travailler avec Roy sur un rôle plus important m’est venue quand je tournais Embrasse-moi comme tu m’aimes. Je venais de filmer la scène où on l’étampait dans le mur, et je me suis dit: il faut que je lui écrive quelque chose de plus important la prochaine fois», raconte André Forcier en riant. 

Son personnage, Albert Payette, est un hommage à l’agronome du même nom décédé en 1990, qui a joué dans certains films de Forcier, dont Bar Salon (1974) et L’eau chaude l’eau frette (1976). «C’était un véritable anarchiste», dit le cinéaste à son sujet.

Le véritable Albert Payette a d’ailleurs côtoyé dans sa jeunesse le frère Marie-Victorin, d’où l’idée de ramener sur terre le fondateur du Jardin botanique de Montréal et auteur de la Flore laurentienne dans la peau d’un revenant complètement décomplexé, joué avec un plaisir évident par Yves Jacques.

En quoi l’acteur a-t-il ici inspiré son personnage? Le plus sérieusement du monde, André Forcier répond que ce rôle était l’occasion de mettre fin à une punition qu’il infligeait à Yves Jacques, qui avait dû se désister d’une des œuvres phares de sa filmographie, Au clair de la lune (1983). «Je l’ai mis en pénitence pendant 40 ans! raconte le cinéaste, amusé. Un moment donné, je lui ai dit: ta pénitence est terminée, dorénavant je peux te confier un rôle important.»

Son personnage prend vie un an après la publication des correspondances inédites du frère Marie-Victorin avec Marcelle Gauvreau (interprétée dans
le film par Mylène Mackay), ouvrage qui révèle près de 75 ans après sa mort les recherches qu’a menées le religieux avant-gardiste sur la sexualité. 

Là encore, son film est drôlement d’actualité.


Les fleurs oubliées

En salle dès aujourd’hui

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