«On a tous un petit vide à l’intérieur de soi. On le remplit de même. C’est une façon de rester vivant.»
Ginette Vallée, participante aux ateliers d’art-thérapie des Impatients, n’aurait pas pu mieux résumer ce qu’accomplit cet organisme auprès des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Le résultat de leur travail fait partie de l’exposition annuelle Parle-moi d’amour.
On ressent une certaine fébrilité en entrant dans les bureaux des Impatients, à quelques jours de l’ouverture de leur exposition-encan. Et pour cause: il s’agit d’un grand événement pour l’organisme, car toutes les sommes recueillies par la vente des œuvres serviront à financer ses activités, offertes gratuitement aux participants.
Au moment de notre visite, les œuvres qui seront exposées avant d’être vendues étaient emballées, prêtes à être acheminées puis accrochées aux murs du Musée d’art contemporain (MAC).
Au total, plus de 300 créations en arts visuels seront exposées dans la salle principale de l’institution montréalaise. Dans le lot, on trouve des œuvres réalisées par les participants de l’organisme et d’autres signées par des artistes professionnels, notamment Marc Séguin, Caroline Monnet et Jennifer Alleyn.
Une collection offerte par des donateurs comprenant des tableaux de grands noms québécois, dont Jean Paul Riopelle, Jean McEwen et Marcel Barbeau, complète la sélection. «On a reçu des dons de qualité cette année», souligne Catherine Côté-Cyr, chargée de communication aux Impatients.
Peu importe qui signe les œuvres, toutes seront présentées sur un pied d’égalité, sans distinction entre les artistes. «Cette année, il y a beaucoup de liens entre différentes œuvres qu’on propose, ce qui n’était pas voulu, car chacun crée de son bord», précise Mme Côté-Cyr.
Ginette Vallée et Siris font partie des artistes présentés dans l’exposition. La première participe aux ateliers des Impatients depuis une dizaine d’années. Le second, artiste en bande dessinée, notamment, y anime des ateliers chaque semaine.
Tous deux sont fiers de faire partie de cette grande famille créative. Cette collecte de fonds tient particulièrement à cœur à Ginette Vallée.
«C’est une façon de remettre ce qui m’a été donné ici. Ça me motive, parce que j’apprécie beaucoup ce que Les Impatients font pour nous. C’est nécessaire dans notre société d’avoir ce genre d’ateliers.»
Son tableau, nommé L’éclaircie élunée, créée au crayon aquarelle, est inspiré d’un voyage qu’elle a fait en Écosse.
«C’est la première fois que je crée quelque chose sans partir d’un modèle, explique-t-elle. Ce qui m’inspirait au départ, c’était le phare. Puis, j’ai essayé de remplir le reste. Je n’ai pas de notion en profondeur et en perspective, donc j’ai fait ce que j’ai pu.»
Cette absence de technique chez plusieurs des participants en art-thérapie émerveille Siris, qui se sent parfois prisonnier de ce bagage. «Il y a une fraîcheur chez eux, dit-il. Moi, je suis pris avec des notions: la perspective, les contrastes… C’est fascinant de voir où ils peuvent aller sans contrainte.»
L’œuvre qu’il expose à Parle-moi d’amour se veut un hommage au peintre québécois Jean-Philippe Dallaire. Il planche d’ailleurs présentement sur une BD à son sujet.
Nommé Dallaire a pondu un gallinacé, son tableau représente le peintre avec un oiseau sur la tête. «Dallaire a fait beaucoup de natures mortes montrant des poules et des coqs. Une de ses plus connues est Coq licorne. Ma peinture est un clin d’œil à son œuvre.»
«Chacun donne de son expression, de sa couleur… Deux, trois coups de pinceaux et boum! Ils créent de super belles œuvres que je ne serais jamais capable de faire!» Siris, animateur d’ateliers d’art aux Impatients, à propos des participants
L’art-thérapie, une bouée
Exposer ce tableau au Musée d’art contemporain est un honneur pour l’artiste et enseignant. «Une rétrospective de Dallaire a déjà été présentée ici. Et moi, wow, j’expose mon hommage à Dallaire au MAC! Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi hot!» s’enthousiasme-t-il.
«Mais peu importe le lieu de l’exposition, l’important, c’est que Les Impatients soient vus et entendus, reprend-il d’un ton sérieux. L’organisme sauve des vies.»
En entendant ces mots, Ginette Vallée a le regard qui s’illumine. «Ça vient chercher quelque chose d’important ici», dit-elle en pointant son cœur.
Les bienfaits de l’art-thérapie sont nombreux chez cette participante. «Je viens d’abord ici pour communiquer. L’art est important, mais mon équilibre mental l’est encore plus. Pour ça, je dois être en relation avec les autres», dit-elle.
Depuis qu’elle est une «grande malade», comme elle se décrit, elle ne peut plus travailler. «À un moment donné, il fallait que je me garroche quelque part; je ne pouvais pas rester enfermée chez nous. Je me suis donc garrochée ici.»
Bel endroit pour se garrocher, se dit-on en regardant les murs du local tapissés de créations originales des Impatients. «Ça nous permet de faire encore partie de la société. De régler des choses intérieures pour ne pas nous enrager. De nous fondre avec tout le monde. C’est dur, nous fondre avec tout le monde, ce n’est pas évident… C’est un art!» poursuit-elle en riant.
Une étude de l’Université de Montréal a d’ailleurs révélé que 87% des participants qui fréquentent l’organisme prennent moins de médicaments et que 66 % d’entre eux fréquentent moins les hôpitaux. Lorsqu’on mentionne ces statistiques, nos trois interlocuteurs s’emballent. «Oui, oui, oui!» clament-ils à l’unisson.
Siris constate cette amélioration au cours des ateliers. «Ils nous le disent! Dernièrement, un participant m’a parlé de médication. Je trouve ça super!»
Lui-même ressent les bienfaits de la création, même s’il ne lutte pas contre les mêmes démons que ses élèves. «Quand je crée, je suis moins tendu. Il y a un certain “lousse”, un recul. La peinture permet de se laisser aller.»
L’art est-il thérapeutique pour lui aussi? «Ça l’est pour tout le monde! répond-il. Parce que chaque personne donne de soi-même dans l’art. Moi, ça m’a sauvé la vie, c’est sûr et certain! Ça m’a permis de sortir de mon marasme et ça m’aide toujours.»
Pour Ginette Vallée, la pratique artistique, que ce soit l’écriture, qu’elle affectionne particulièrement, ou le dessin, est un outil d’expression dont elle ne pourrait se passer. «C’est une façon de montrer ce que je ressens en dedans. Ce n’est pas toujours beau; j’ai fait des œuvres très sombres par le passé», affirme-t-elle.
C’est pourquoi Parle-moi d’amour est si important pour Les Impatients, souligne Catherine Côté-Cyr. «Ça montre ce que les gens font dans les ateliers. Ça permet de démystifier la santé mentale par la création.»
Mise à jour
L’exposition Parle-moi d’amour aura lieu du 16 au 29 octobre 2020 au local des Impatients.
L’encan se déroulera entièrement en ligne.